Eurominute d'Euan Walker

De quelle manière la Russie use-t-elle du discours anti-LGBTQIA+ dans son action diplomatique ?

De quelle manière la Russie use-t-elle du discours anti-LGBTQIA+ dans son action diplomatique ?

Cette semaine, Euan Walker et Cécile Dauguet discutent de la stratégie russe consistant à exploiter la question des droits des LGBTI pour mener des actions de désinformation à l'échelle internationale.

La guerre en Ukraine, plus qu'un simple conflit de haute intensité, comporte une dimension communicationnelle importante en termes de désinformation et d'acquisition d'influence internationale. Comment ce conflit informationnel de récits se développe-t-il actuellement ?

Oui, vous avez raison de souligner cette notion de conflits de récits dans la lutte actuelle. Ce qui est le plus remarquable, c'est la façon dont ce conflit international s'est enraciné dans une discussion sur les valeurs sociétales. Plus intéressant encore, sur le thème de l'acceptation des personnes LGBTI. En effet, le lundi 6 mars, à l'Hôtel de Ville de Paris, s'est tenue une conférence internationale inaugurant l'Association pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité. Jean-Marc Berthon, Ambassadeur français pour les droits des personnes LGBT+, était présent à cet événement. Son rôle, bien que lié à une mission de promotion de dépénalisation à l'échelle internationale, soulève également la question du discours LGBTI dans la diplomatie et, plus particulièrement, du soft power de la Russie à l'échelle internationale. Le Kremlin brandit un discours anti-LGBTI pour galvaniser le sentiment anti-occidental dans le conflit actuel.

Comment la Russie use-t-elle du discours anti-LGBTI dans son action diplomatique ?

Ces dernières années, le gouvernement russe dépeint l'UE comme un foyer d'activisme LGBTI pour alimenter un sentiment nationaliste au sein de sa propre population.

Un exemple de cette tactique est la façon dont la Russie a utilisé la question des droits des LGBTI pour critiquer les efforts d'intégration euro-atlantique de l'Ukraine, à l’époque de l’euro Maïdan. Pour la propagande russe, l’expansion de l'Union européenne et de l'OTAN font partie d'un programme plus large visant à imposer les "valeurs occidentales" aux sociétés chrétiennes traditionnelles et conservatrices d'Europe de l'Est. Et en particulier, imposer le mariage gay comme obligatoire. En présentant la position pro-européenne de l'Ukraine de cette manière, la Russie cherche à se présenter comme un défenseur des valeurs traditionnelles et un rempart contre la menace perçue de la décadence occidentale.

Ce discours est-il exporté au niveau international ?

Absolument, nous avons récemment parlé de la présence du groupe paramilitaire pro-russe Wagner en Afrique, qui illustre clairement la volonté du Kremlin de gagner en influence en dehors de l'Europe. Cette volonté s'est déjà manifestée lors du discours de Poutine du 30 septembre dernier. Dans son discours, on voit qu’il ancre ce conflit entre la Russie et l'Occident dans une optique traditionaliste en demandant à son auditoire " Est-ce que nous voulons que l'on enseigne dans nos écoles primaires des perversions qui conduisent à la dégradation et à l'extinction ? ". Mais le plus intéressant dans ce discours est le désir de Poutine de s'adresser aux pays du Sud en proclamant que "L'Occident est prêt à tout pour conserver ce système néocolonial". L'Afrique, qui souffre actuellement d'une crise d'insécurité alimentaire consécutive à l'invasion de l'Ukraine par la Russie, est désormais censée s'aligner sur Poutine, figure de proue autoproclamée de la libération post-coloniale contre un néo-impérialisme occidental centré sur les LGBTI.

Quelles sont les ramifications de ce discours pour l'Europe ?

Étant donné la dimension mondiale du conflit, le besoin d'un soutien international est primordial : le succès de ces stratégies de désinformation, notamment en Afrique, risque décourager une condamnation aux Nations unies de la Russie pour sa prise de territoires, décrédibiliser les sanctions européennes et, se faisant, réduire l’importance du droit international public. En effet, la technologie permettant aujourd'hui une diffusion à une échelle imprévue à travers le monde, ces stratégies de désinformation permettent au Kremlin d'interférer directement avec l'opinion publique et assurer l'élection de gouvernements qui collaboreront avec eux sur le plan diplomatique, faisant ainsi avancer leurs objectifs stratégiques.

Les organes diplomatiques de l'Union européenne réagissent-ils à cette stratégie de désinformation ?

C’est devenu capital pour les services diplomatiques européens. Le Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, dans un discours du 7 février 2023, évoque la nécessité de renforcer la détermination de l'Europe face aux tactiques de désinformation de la Russie. Cependant, selon lui, la capacité de l'Europe à agir efficacement contre ces tactiques reste insuffisante : manque de personnel, absence de stratégie globale en la matière, incapacité à traiter tous les canaux de communication dans les langues appropriées... À cela s'ajoute la difficulté narrative de savoir comment conserver le soutien dans ces régions sans paraître s'engager dans une forme d'impérialisme LGBTI, les services russes ayant déjà semé la graine de cette idée à l'échelle internationale. C'est dans ce contexte que la nomination d'un ambassadeur français pour les droits des personnes LGBTI est d'autant plus intéressante - bien qu'elle soit significative en termes de défense des droits fondamentaux, il reste à voir si le service diplomatique français, et plus largement les services diplomatiques européens, ont trouvé une approche stratégique à cette question de la désinformation centrée sur les personnes LGBTI qui aborde sa dimension géopolitique indéniable...

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Entretien réalisé par Cécile Dauguet.


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English version : 

How does Russia use anti-LGBT rhetoric in its diplomatic efforts ?

This week Euan Walker and Rune Mahieu discuss the Russian strategy of exploiting the issue of LGBTI rights for international disinformation.

The war in Ukraine, more than just a high-intensity conflict, has an important communicational dimension in terms of disinformation and the acquisition of international influence. Euan, how is this informational conflict of narratives developing now?

Yes, you are right to emphasise this notion of conflict of narratives in the current struggle. What is noteworthy is how this international conflict has become rooted in a dicussion of societal values. Most interestingly, on the theme of acceptance of LGBT people. Indeed, on Monday 6 March, at the Hôtel de Ville in Paris, an international conference was held to inaugurate the Association for the Universal Decriminalisation of Homosexuality. Jean-Marc Berthon, French Ambassador for LGBT+ rights, was present at this event. His role, although linked to a mission to promote decriminalisation internationally, also raises the issue of LGBT discourse in diplomacy and, more specifically, Russia's soft power internationally. The Kremlin is using anti-LGBT rhetoric to galvanise anti-western sentiment in the current conflict.

How does Russia use anti-LGBT rhetoric in its diplomatic efforts?

In recent years the Russian government has portrayed the EU as a hotbed of LGBT activism in order to fuel nationalist sentiment within its own population.

An example of this tactic is the way Russia used the issue of LGBT rights to criticise Ukraine's Euro-Atlantic integration efforts during the Euromaidan era. For Russian propaganda, the expansion of the European Union and NATO are part of a wider agenda to impose "Western values" on traditional and conservative Christian societies in Eastern Europe. And in particular, to impose gay marriage as compulsory. By presenting Ukraine's pro-European stance in this way, Russia seeks to present itself as a defender of traditional values and a bulwark against the perceived threat of Western decadence.

Is this discourse being exported internationally?

Absolutely, we recently talked about the presence of the pro-Russian paramilitary group Wagner in Africa, which clearly illustrates the Kremlin's desire to gain influence outside Europe. This was already evident in Putin's speech on 30 September. In his speech, we see that he anchors this conflict between Russia and the West in a traditionalist perspective by asking his audience "Do we want perversions that lead to degradation and extinction to be taught in our primary schools? ". But what is most interesting about this speech is Putin's desire to address the countries of the South by proclaiming that "The West will do anything to maintain this neo-colonial system". Africa, which is currently suffering from a food insecurity crisis following Russia's invasion of Ukraine, is now expected to align itself with Putin, the self-proclaimed figurehead of post-colonial liberation against an LGBT-centric Western neo-imperialism.

What are the ramifications of this discourse for Europe?

Given the global dimension of the conflict, the need for international support is paramount: the success of these disinformation strategies, particularly in Africa, risks discouraging UN condemnation of Russia for its territorial seizure, undermining the credibility of European sanctions and, in the process, reducing the importance of public international law. Indeed, with technology now allowing for dissemination on an unforeseen scale across the world, these disinformation strategies allow the Kremlin to directly interfere with public opinion and ensure the election of governments that will collaborate with them diplomatically, thus advancing their strategic objectives.

Are EU diplomatic bodies responding to this disinformation strategy?

This has become crucial for the European diplomatic services. The High Representative of the Union for Foreign Affairs and Security Policy, Josep Borrell, in a speech on 7 February 2023, spoke of the need to strengthen Europe's resolve in the face of Russia's disinformation tactics. However, in his view, Europe's capacity to act effectively against these tactics remains insufficient: lack of personnel, absence of a global strategy on the matter, inability to deal with all communication channels in the appropriate languages... Added to this is the narrative difficulty of how to maintain support in these regions without appearing to engage in a form of LGBT imperialism, as the Russian services have already sown the seeds of this idea internationally. It is in this context that the appointment of a French ambassador for LGBT rights is all the more interesting - while significant in terms of defending fundamental rights it remains to be seen whether the French diplomatic service, and more broadly European diplomatic services, have found a strategic approach to this issue of LGBT focussed misinformation that addresses its undeniable geopolitical dimension....

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Interview by Rune Mahieu.