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Accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur

©  Alan Santos/PR - Flickr - Wikimedia Commons Accord commercial entre l'Union européenne et le Mercosur
© Alan Santos/PR - Flickr - Wikimedia Commons

Tous les mois, Anaïs BEN LALLI prend le temps de décrypter les enjeux économiques de l'Union européenne dans L'Euroscope, sur euradio.  

Aujourd’hui, nous allons parler d’un sujet qui cristallise les passions et soulève de nombreuses questions : l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur.

Révolutionner les échanges entre deux des plus grandes zones économiques au monde, voilà l’ambition affichée d’un tel accord. Mais, les choses sont plus compliquées que ça. Je vous explique.

Après un premier accord-cadre ait été signé en 1995, les négociations, débutées en 2000 se sont rapidement heurtées à de multiples obstacles : désaccords sur les produits agricoles, conflits autour des normes sanitaires, et tensions liées à l’industrie européenne. Les discussions ont repris en 2016 pour aboutir, en 2019, à un accord. Mais, depuis, les États-membres ont été incapables de le ratifier, tant cet accord soulève de divisions entre les États-membres.

Plus de 20 ans de négociations, ce fameux accord UE-Mercosur, c’est une vraie saga ! Mais pourquoi est-il si important et pourquoi fait-il autant parler ?

Vous avez raison Laurence, cet accord revient sur le devant de la scène depuis plusieurs années maintenant. Alors, pourquoi autant d’émoi ?

Commençons par un petit rappel. Le Mercosur, c’est cette union économique sud-américaine qui regroupe 4 pays principaux : le Brésil, l’Argentine, le Paraguay et l’Uruguay. Ensemble, ces pays forment une zone de libre-échange créée en 1991, qui pèse lourd dans l’agriculture mondiale avec des exportations de viande, de soja ou encore de sucre.

L’accord entre l’UE et le Mercosur vise à supprimer les droits de douane sur 90 % des échanges entre ces deux blocs. Pour l’Europe, cela signifie un accès élargi aux marchés sud-américains pour ses voitures, ses produits pharmaceutiques et ses biens industriels. Pour le Mercosur, c’est l’opportunité de renforcer ses exportations agricoles vers les 27.

Historiquement, cet accord est une prouesse diplomatique. Il aura fallu plus de deux décennies de négociations, marquées par des désaccords sur des sujets sensibles comme la protection des industries locales ou encore les normes sanitaires et environnementales. En 2019, un compromis est enfin trouvé.

Vous l’aurez compris, il s’agit d’un accord ambitieux, mais qui soulève aussi des craintes, notamment environnementales, et depuis sa ratification, il est au point mort.

Justement, ces craintes, elles sont particulièrement vives dans certains pays de l’UE, n’est-ce pas ? Quels sont les principaux désaccords ?

L’UE s’est progressivement divisée en 2 catégories sur le sujet :

- D’un côté, certains pays, comme l’Allemagne, l’Espagne ou encore les Pays-Bas, sont favorables à cet accord. Pour eux, il s’agit d’une opportunité économique majeure. L’Allemagne, y voit un moyen de dynamiser ses exportations automobiles par exemple. Mais, ces pays défendent également l’idée que le commerce peut être un levier pour renforcer la coopération internationale sur des sujets comme le climat ou les droits humains.

- De l’autre côté, des pays comme la France, la Pologne, ou l’Italie récemment, qui s’opposent fermement à l’accord. Ils mettent en avant des préoccupations environnementales. En ligne de mire, les politiques du président brésilien d’alors, Jair Bolsonaro, accusé de ne pas lutter suffisamment contre la déforestation en Amazonie. L’importation massive de produits agricoles sud-américains inquiète aussi les agriculteurs européens, qui redoutent une concurrence déloyale.

Ces divisions sont également idéologiques. Pour certains, cet accord symbolise un modèle de mondialisation dépassé, où les impératifs économiques priment sur les préoccupations environnementales et sociales.

Et alors, face à ces divisions, est-ce qu’il existe des pistes pour sortir de l’impasse ?

J’en vois 2 principales :

- La première hypothèse reviendrait à réviser l’accord. Sous la pression des États membres réticents, la Commission européenne a déjà proposé un « addendum » pour renforcer les engagements climatiques des pays du Mercosur. L’objectif est clair : garantir que l’accord ne contribue pas à la déforestation et respecte l’Accord de Paris. Mais cette proposition est-elle suffisante pour convaincre ? Rien n’est moins sûr.

- La deuxième possibilité : un accord à géométrie variable. Certains pays pourraient décider de ratifier l’accord de manière partielle, en se concentrant sur les volets les moins controversés, comme l’industrie, et en excluant temporairement l’agriculture. Une solution technique, mais complexe à mettre en œuvre.

Un addendum climatique, un accord partiel… Ce sont des pistes intéressantes, mais est- ce que ça suffira vraiment pour apaiser les tensions ?

C’est toute la difficulté, Laurence. Ces solutions pourraient convaincre certains, mais pas tous. Par exemple, les agriculteurs européens restent farouchement opposés à l’importation de viande sud- américaine, même avec des garanties environnementales renforcées.

Enfin, il existe un risque de statu quo prolongé. Si les divisions persistent, l’accord pourrait rester lettre morte, au grand dam des acteurs économiques des deux côtés de l’Atlantique. Cela pourrait aussi affaiblir la crédibilité de l’UE comme acteur commercial mondial.

Finalement, cet accord, c’est un vrai test pour l’Europe. Mais est-ce qu’il y a un risque qu’il ne voie jamais le jour ?

L’accord entre l’UE et le Mercosur est bien plus qu’un simple traité commercial. Il incarne les défis d’un monde en transition, où économie, écologie et politique s’entremêlent. Son avenir dépendra de la capacité des Européens à trouver un équilibre entre leurs intérêts économiques et leurs valeurs.

Ce dossier est aussi un test pour l’UE, qui cherche à se positionner comme une puissance commerciale responsable. Réussira-t-elle à concilier ses ambitions économiques et environnementales ? La réponse, peut-être, dans les mois ou années à venir.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.