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« One big beautiful bill » ou le retour de la guerre fiscale entre les USA et l’UE

© The White House « One big beautiful bill » ou le retour de la guerre fiscale entre les USA et l’UE
© The White House

Tous les mois, Anaïs BEN LALLI prend le temps de décrypter les enjeux économiques de l'Union européenne dans L'Euroscope, sur euradio.  

Bonjour Anaïs Ben Lalli, ravie de vous retrouver pour décrypter l’actualité économique. Alors, il paraît que le Sénat américain doit voter en ce moment même une loi fiscale… C’est quoi cette fameuse « grande et belle loi fiscale » dont tout le monde parle ?

Bonjour Laurence, bonjour à tous vos auditeurs ! Oui, ce « One big beautiful bill », c’est une loi de finances américaine très attendue… et très controversée. Derrière ce nom un peu grandiloquent, donné par Donald Trump lui-même, se cache une réforme fiscale qui ne fait pas que des heureux, notamment en Europe. On parle beaucoup des barrières tarifaires imposées par Washington, mais cette loi contient aussi des mesures fiscales qui risquent de provoquer un sérieux regain de tensions économiques entre les États-Unis et l’Union européenne.

Ok, mais concrètement, qu’est-ce que cette loi prévoit en matière de fiscalité ? Quelles mesures vont impacter l’Europe ?

C’est là que ça devient intéressant …. Ou … inquiétant. Le gouvernement américain souhaite instaurer une surtaxe — une taxe supplémentaire — qui frapperait toutes les entreprises étrangères qui réalisent des revenus sur le sol américain. Cette surtaxe démarrerait à 5 % dès l’an prochain, mais elle pourrait grimper progressivement jusqu’à atteindre 20 %.

Qu’est-ce qui rend cette taxe si redoutable ? Mais, c’est que son assiette est très large : elle concernerait potentiellement une très grande part des investissements étrangers directs aux États-Unis.

Une surtaxe de 20 %… Ça fait mal ! Mais pourquoi Donald Trump met-il en place cette taxe-là, précisément ?

Cette mesure est une riposte, une sorte de contre-attaque. Elle vise à répondre à deux initiatives qui ont beaucoup déplu à Washington.

- A l’échelle nationale, d’abord, avec la taxe sur les services numériques, adoptée par plusieurs pays européens et qui cible les géants du numérique comme les GAFA, en taxant leurs revenus liés aux utilisateurs européens. Pour rappel, en 2019, la France était le premier État en Europe à introduire une telle taxation.

A l’échelle mondiale, ensuite, avec l’accord de l’OCDE sur la taxation des multinationales, négocié en 2021 et qui concerne plus de 130 pays. Cet accord comporte 2 piliers :

* le premier prévoit la redistribution d’une partie des droits d’imposition aux pays où les profits sont réellement réalisés, même sans implantation physique.

* Le second prévoit un impôt minimum mondial de 15 % pour les grandes entreprises.

C’est donc un vrai bras de fer fiscal qui se joue, avec des enjeux colossaux. Est-ce que cette surtaxe

L’efficacité dépendra de la réponse européenne, mais cette surtaxe a un large champ d’application, donc elle peut impacter plus de 80 % des investissements directs étrangers aux États-Unis. C’est énorme. Cela peut réduire la compétitivité des entreprises européennes sur le marché américain, augmenter leurs coûts, voire provoquer des représailles européennes. On parle bien d’un risque de « guerre fiscale » entre deux blocs économiques majeurs.

Et côté européen, est-ce qu’il y a une riposte envisagée ?

L’Union européenne réfléchit justement à renforcer ses propres mesures fiscales. Une idée serait d’instaurer une taxe sur les recettes publicitaires des géants du numérique, une façon de mettre la pression sur les GAFA. Le problème, c’est que ces entreprises, du fait de la nature dématérialisée de leurs activités, échappent en grande partie à l’impôt sur les sociétés classique, qui est basé sur la présence physique. Du coup, elles paient beaucoup moins d’impôts que les entreprises traditionnelles. Mais l’Institut Delors, un think tank européen, met en garde : utiliser cette menace fiscale comme levier dans les négociations commerciales peut être risqué. En effet, cela pourrait compromettre l’accord fiscal mondial négocié en 2021, un accord crucial pour éviter un chaos fiscal international.

Cet accord mondial, justement, pourquoi est-il si important ?

Cet accord signé sous l’égide de l’OCDE représente une avancée majeure pour taxer équitablement les multinationales à l’échelle globale. L’administration Biden s’y est engagée, en échange de la promesse que les États européens abandonneraient leurs propres taxes numériques nationales. Si cette surtaxe américaine et la riposte européenne s’enveniment, ce fragile équilibre pourrait voler en éclats, fragilisant une coopération internationale pourtant indispensable.

On est donc face à une situation délicate où les négociations diplomatiques et commerciales seront déterminantes.

Anaïs :

Les prochaines semaines seront cruciales. D’abord, le Sénat américain doit encore débattre et voter ce texte fiscal, qui pourrait évoluer, notamment à cause des divisions au sein de la droite républicaine. Ensuite, l’Union européenne va observer de près ces évolutions pour décider de sa propre réponse. Parallèlement, les négociations internationales sous l’égide de l’OCDE vont continuer, car cet accord mondial est fragile et essentiel. Bref, c’est un véritable jeu d’équilibriste entre pression nationale, diplomatie internationale et intérêts économiques majeurs. Affaire à suivre, donc !

Merci Anaïs pour ce décryptage très clair et passionnant.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.