Tous les mois, Anaïs BEN LALLI prend le temps de décrypter les enjeux économiques de l'Union européenne dans L'Euroscope, sur euradio.
Bonjour Anaïs BEN LALLI, le 28 février dernier, la commission européenne a dévoilé son Pacte pour une industrie propre. Parlez-nous de ce pacte, quelles en sont les principaux objectifs ?
Ce nouveau Pacte pour une industrie propre poursuite deux objectifs principaux : relancer l’industrie européenne, et maintenir des objectifs climatiques élevés. Pour ce faire, l’Union utilise 2 leviers différents : réduire les coûts énergétiques pour les entreprises et soutenir la demande intérieure pour des produits propres « Made in Europe ».
Et concrètement, quelles sont les mesures contenues dans ce pacte ?
Plusieurs mesures ont d’ores et déjà étaient annoncées et parmi les plus importantes, on compte :
- La mobilisation de 100 milliards d'euros à court terme pour accélérer la décarbonation, l'électrification et le développement des technologies propres
- La simplification et le renforcement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, aussi appelé taxe carbone, qui permet de lutter contre les normes écologiques moins sévères hors Union.
- Ou encore la création d’une banque de la décarbonation industrielle qui soutiendra directement les projets d'innovation verte.
Et ces mesures ne sont pas sans conséquences sur des secteurs spécifiques. Lesquels en particulier ?
En effet, Laurence, 2 secteurs majeurs sont directement visés :
• Le premier secteur, ce sont les industries à forte intensité énergétique comme l’acier, le ciment et la chimie. Industries parmi les plus polluantes, mais aussi cruciales pour l’économie européenne.
• Le premier secteur, ce sont les technologies propres : l’idée est ici de positionner l’Europe en leader mondial de l’innovation verte en soutenant le développement de secteurs dits propres comme les énergies renouvelables ou encore les technologies de capture du carbone.
Prenons l’exemple d’ArcelorMittal, le plus grand producteur d’acier en Europe, investit dans des technologies pour produire de l’acier à faible émission de carbone. L’entreprise met en place des projets pilotes pour capturer le CO2 dans ses processus de production, ce qui pourrait transformer toute l’industrie. Ce type d'initiative bénéficie d'un soutien direct via des subventions européennes pour la décarbonation.
Une industrie propre … Un concept qui peut paraître antinomique, non ?
C’est vrai ça peut paraître totalement paradoxal que de parler d’industrie propre Je m’imagine, moi, un peu l’Union européenne comme étant Thémis, vous savez cette déesse grecque qui représente la justice et qui est constamment munie d’un balancier, cherchant la mesure en toute chose. L’Union, elle aussi, cherche à concilier deux impératifs qui paraissent de prime abord totalement inconciliables : la décarbonation et la compétitivité industrielle.
C'est un véritablement dilemme cornélien. Peut-on vraiment avoir une industrie compétitive tout en respectant des standards écologiques stricts ? Après tout, les coûts de production d’une industrie décarbonée sont parfois très élevés. Les entreprises européennes, déjà sous pression, pourront-elles suivre ce rythme sans perdre leur compétitivité face à des géants comme la Chine ou les États-Unis ?
Mais alors, dans un contexte de concurrences internationale exacerbée, a-t-on réellement intérêt à se préoccuper de l’environnement ? Doit-on préférer la performance environnementale à la performance économique ?
Entre sirènes de la décroissance et sirènes climato-sceptiques, la Commission fait plutôt le choix de la complémentarité entre considérations environnementales et économique.
En réalité, investir dans des technologies propres présente différents intérêts économiques, Laurence :
- Cela permettrait à l’Union de se positionner sur de nouveaux marchés en pleine croissance, c’est le cas des véhicules électriques
- Cela lui permettrait également de réduire ses dépendances énergétiques et de devenir moins vulnérable aux fluctuations des prix de l'énergie et aux tensions géopolitiques.
- Enfin, cela lui permettrait de réduire les coûts liés aux externalités négatives, telles que la pollution et les impacts du changement climatique.
Quels sont les freins à une telle ambition ?
Je pense qu’il faut que l’Union aille vite, Laurence. L’industrie européenne est d’ores et déjà en grande souffrance. Si l’Union a beaucoup investi, ça n’est rien comparé aux Etats-Unis et à la Chine.
Le monopole de la Chine est sans conteste : d’usine du monde, ils semblent être en passe de devenir manufacture de la planète dans l’industrie verte. La clé de leur succès ? de vastes capacités de production et une toile tissée aux 4 coins du monde qui leur permet de mettre la main sur les matières critiques et ainsi sur la chaîne de valeur de la cleantech. D’un côté, nous sommes largement dépendants de la Chine, qui a mis la main sur des matières premières essentielles. De l’autre, ils nous imposent une rude concurrence, on va jusqu’à parle d’une déferlante de technologies vertes aux prix ultra-agressifs.
La Chine est par exemple en situation de monopole en matière de panneau solaire. De l’autre côté, l’agressivité commerciale américaine, pas seulement par les décisions récentes de Donald Trump, mais également par les mesures prises par Biden, à l’instar de l’Inflation Reduction Act.
L’Union doit continuer de se protéger et de protéger ses industries tout en ouvrant la voie sur les industries d’avenir.
Quels seront les prochains rendez-vous législatifs concernant ce plan ?
Nous attendons que ce plan soit décliné dans plusieurs textes législatifs au cours des prochains mois.
Aujourd’hui, la vraie contrainte au niveau de l’Union est budgétaire : comme le dit Jean Pisani-Ferry, un relâchement des règles budgétaires européennes permettrait de faciliter ce positionnement de "championne du climat". À l’heure où l’UE se voit contrainte d’augmenter ses dépenses en matière de défense, les choix risquent, là encore, de devenir cornéliens.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.