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Les conséquences économiques des sanctions contre Meta et Apple

Photo de Julio Lopez - Pexels Les conséquences économiques des sanctions contre Meta et Apple
Photo de Julio Lopez - Pexels

Tous les mois, Anaïs BEN LALLI prend le temps de décrypter les enjeux économiques de l'Union européenne dans L'Euroscope, sur euradio.  

Le 23 avril dernier, la Commission européenne a infligé de lourdes amendes à deux géants de la tech, Meta et Apple. Concrètement, qu’est-ce qui leur est reproché à Apple et Meta ?

En effet Laurence, la Commission a condamné Apple à une amende de 500M€, pour avoir empêché les développeurs d’applications sur son App Store de communiquer directement avec leurs utilisateurs pour leur proposer des offres avantageuses. De son côté, Meta a été condamnée à 200M€ pour avoir utilisé les données personnelles des utilisateurs pour mieux cibler la publicité, ce qui renforce sa position dominante et nuirait ainsi à la concurrence. Les deux entreprises ont désormais 60 jours pour se conformer aux décisions de la Commission. Passé ce délai, elles risquent des amendes supplémentaires.

Une décision qui fait beaucoup de bruit. Anaïs, peux-tu nous remettre dans le contexte de cette affaire ?

Oui, bien sûr, Laurence. C’est une décision clé dans le cadre du règlement européen sur les marchés numériques, le fameux DMA pour Digital Markets Act. Ce règlement a été conçu pour freiner la domination des grandes plateformes numériques.

Parlons justement de ce DMA. Quelles en sont les grandes lignes, et pourquoi est-il si important ?

Le DMA a un objectif très clair : limiter la domination des plateformes numériques géantes. Ce règlement vise à interdire certaines pratiques anticoncurrentielles, comme favoriser leurs propres services ou abuser de leur position dominante pour rendre les utilisateurs et les petites entreprises dépendants de leurs services. En gros, il s’agit d’assurer une concurrence équitable et de protéger les droits des utilisateurs.

C’est là qu’intervient la notion de "contrôleur d’accès", n’est-ce pas ? Peux-tu nous éclairer sur ce terme ?

Oui, exactement ! Une plateforme est désignée comme "contrôleur d’accès" si elle détient une position économique dominante, c’est-à-dire un chiffre d'affaires conséquent en Europe et des millions d’utilisateurs. Apple ou Meta en sont des exemples parfaits. Ce pouvoir énorme leur permet de dicter les règles, et c’est justement ce que le DMA cherche à encadrer.

La Commission européenne a désigné 24 plateformes dites "contrôleurs d’accès".

Et ces amendes, sont-elles vraiment aussi sévères qu’on le dit ?

Il s’agit d’« Un message fort et clair », pour la vice-présidente de la Commission européenne Teresa Ribera. Et c’est vrai, ces amendes sont importantes, Laurence, mais il faut savoir raison garder. Je vous rappelle que le DMA permet des amendes pouvant atteindre jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial des entreprises. Avec des chiffres d’affaire de 342 milliards d’euros et de 143 milliards d’euros, cela pourrait représenter jusqu’à 16 milliards de dollars pour Meta et 39 milliards pour Apple. A côté de ça, les sanctions peuvent paraitre risibles.

Mais il y a aussi des implications géopolitiques. Ces décisions interviennent dans un contexte particulier de fortes tensions entre les États-Unis et l’Union européenne. Anaïs, quel est l’enjeu économique derrière cette affaire ?

Oui, Laurence, ces amendes ne se comprennent pas uniquement sous l’angle des règles de concurrence. Il y a un enjeu beaucoup plus large. L’Union, malgré ses défis internes, reste une superpuissance économique grâce à son marché intérieur qui compte 27 États membres et près de 450 millions de consommateurs. Mais face aux États-Unis, l’UE doit constamment affirmer sa position.

Rappelons-nous que le 21 janvier 2025, Donald Trump a lancé un projet appelé "Stargate", un plan d’investissement massif de 500 milliards de dollars pour assurer la domination des États-Unis dans le secteur de l’intelligence artificielle tout en favorisant une dérégulation de l'IA, contrairement à l’approche européenne, beaucoup plus régulée et protectrice des droits des citoyens.

Une véritable bataille géopolitique en somme… et une guerre économique de plus en plus marquée. Mais quel rôle doit jouer l’Union européenne dans tout ça ?

Exactement. Dans ce contexte de guerre commerciale et technologique, l’Union européenne se doit de renforcer sa position. L’UE n’a pas le luxe de se laisser distancer par les États-Unis et la Chine, qui dominent déjà de nombreux secteurs, notamment l’intelligence artificielle et les technologies vertes. L’Union européenne doit réussir à allier innovation et régulation. Elle doit encourager le développement de technologies propres et de l'IA, mais toujours dans le respect de l’éthique et des droits des citoyens, et non dans une optique de dérégulation totale comme c’est le cas aux États-Unis.

En imposant ces amendes, la Commission montre qu’elle ne se laissera pas faire face aux abus de pouvoir de ces géants du numérique et elle se positionne aussi comme un acteur clé pour l’avenir. Ce n’est pas juste une question de régulation, c’est une question d’affirmation de ses standards.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.