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Le retour du protectionnisme américain

Photo de cottonbro studio - Pexels Le retour du protectionnisme américain
Photo de cottonbro studio - Pexels

Tous les mois, Anaïs BEN LALLI prend le temps de décrypter les enjeux économiques de l'Union européenne dans L'Euroscope, sur euradio.  

Aujourd’hui, nous évoquons les premières décisions commerciales de Donald Trump, des mesures protectionnistes qui promettent d’ériger une grande muraille douanière aux frontières des États-Unis …

C’est exactement ce qui semble se dessiner, Laurence, à l’image de ce qui avait déjà était entrepris par Donald Trump sous son premier mandat.

Reprenons. Le lundi 10 février dernier, Donald Trump, investi président des États-Unis depuis le 20 janvier 2025, donne le ton, en peu de temps, et signe deux décrets de renouvellement des taxes à l’importation de deux métaux, l’acier et l’aluminium, à hauteur de 25%, et là je cite les décrets : « sans exceptions ni exemptions ». Ces decrets devraient entrer en vigueur à compter du 12 mars.

Cette décision n’est pas sans rappeler celle de 2018, mais en pire. Durant son premier mandat, Donald Trump décidait déjà de taxer l’acier à hauteur de 25% et l’aluminium à hauteur de 10%. Bruxelles n’avait alors pas tardé à répliquer en ciblant leurs représailles sur des produits fabriqués essentiellement dans des États républicains, comme le bourbon ou les motos Harley-Davidson.

Cette guerre commerciale avait connu une trêve à compter d’octobre 2021, sous le mandat de Joe Biden, et avait été prolongée en décembre 2024 pour éviter la réintroduction automatique de droits de douane à compter du 1er janvier 2025.

Malheureusement, l'annonce de ces nouvelles barrières tarifaires a porté un coup d’arrêt à cette trêve.

Et le contexte global dans lequel elles s'inscrivent, soulèvent des questions essentielles pour l'avenir du commerce international, et notamment pour les industries européennes, industries sidérurgiques en tête.

4 ans de trêve… on peut dire qu’elle fut de courte durée ! Mais alors pourquoi revenir sur cette question maintenant ? Qu’est-ce qui pousse Trump à rétablir ces barrières tarifaires.

Effectivement Laurence, ce fut une trêve de courte durée et une reprise des hostilités relativement rapide. Ce faisant, Trump aspire à rendre de sa grandeur à l’Amérique. D’ailleurs, son slogan n’est-il pas : Make America Great Again !

Au-delà de l’argument de l’autonomie stratégique, Trump dénonce un excédent commercial avec ses partenaires et aspire à la résorber : son grand projet est donc là.

Les États-Unis sont le 2ème importateur mondial d’acier en 2023 avec plus de 25 millions de tonnes importées, principalement en provenance du Canada. Ça fait plus d’une décennie que leur balance commerciale d’acier est déficitaire à hauteur de 17 millions de tonnes métriques. C’est énorme.

Mais, il poursuit également, par ce moyen, d’autres objectifs secondaires, bien sûr, on pense notamment à la pression économique qu’il tente de faire peser sur des États comme le Mexique, avec lequel ils partagent des enjeux migratoires importants.

Résorber son déficit commercial, protéger son industrie… Est-ce qu’on peut déjà anticiper les conséquences économiques mondiales d’un tel positionnement protectionniste ?

Les États-Unis importent de l’acier depuis 79 destinations différentes, mais l’impact sur ces partenaires dépend fortement de l’importance de la filière sidérurgique nationale pour chacun de ses pays. Cette nouvelle salve protectionniste risque donc d’abord de contrarier les principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis, que sont le Canada, le Mexique, le Brésil ou encore l’UE.

Les nombreux partenaires commerciaux des Etats-Unis s’inquiètent pour leur filière sidérurgique, qui semble en grande peine partout dans le monde.

Parlons du principal partenaire commercial des États-Unis en matière d’acier et d’aluminium : le canada. Comment ont-ils réagi à cette annonce ?

Le Canada, est en effet le principal fournisseur d’acier et d’aluminium des États-Unis. Et ils ont déjà souligné les effets négatifs que ces mesures auraient sur les canadiens mais également sur les américains. L’acier et l’aluminium canadiens sont utilisés dans un certain nombre d’industries-clés américaines, qu’il s’agisse de la défense, de la construction navale, de l’industrie manufacturière, de l’énergie ou de l’automobile.

Il est vrai qu’à moyen terme, des doutes subsistent quant à l’intérêt économique pour les Etats-Unis de défendre de telles mesures protectionnistes. C’est ce que nous enseigne la politique menée par D. Trump en 2018. De nombreux économistes s’accordent sur le fait que ces mesures protectionnistes aient en réalité appauvri les Etats-Unis. Si elle a permis d’augmenter la production américaine d’acier et d’aluminium, la hausse des prix de ces matières premières a eu des conséquences sur les industries qui en consomment.

Et l’impact sur l’Union européenne dans tout ça ?

Les États-Unis restent un partenaire important pour l’Union européen, puisque 25 % des exportations européennes d'acier sont destinées aux Etats-Unis, pour un montant total de 500 milliards d'euros. Mais, les conséquences d’une telle décision protectionniste de la part des Etats-Unis doit être apppréciée pays par pays. Et c’est l’Allemagne, partenaire important en la matière qui risque de pâtir le plus d’une telle décision. Les Allemands sont donc inquiets, et espèrent une réaction concertée avec l’Union.

Cette décision intervient donc alors que la situation de la filière sidérurgique en France et dans l’UE est vacillante. Quels sont les symptômes d’un tel ralentissement de la filière sidérurgique ?

« La sidérurgie en Europe est en crise » c’est ce qu’annonçait le PDG France d’ArcelorMittal, Alain Le Grix de la Salle, en janvier dernier lors d’une audition parlementaire.

L’impact de telles mesures s’appréciera aussi au regard des effets sur la filière sidérurgique européenne, déjà en grande souffrance depuis plus d’une décennie à cause de la concurrence internationale.

D’après l’Association européenne de l’acier (Eurofer), les exportations totales d’acier fini de l’Union européenne ont chuté de manière spectaculaire, passant de 29 millions de tonnes en 2014 à 16 millions en 2023. Celles vers les États-Unis sont passées de 3,6 millions à 2,2 millions de tonnes au cours de la même période.

Nous voyons la liste des restructurations lourdes et des fermetures s’allonger en Europe. Le groupe allemand Thyssenkrupp prévoit de supprimer « 11.000 emplois d’ici 2030, soit 40% de ses effectifs».

Et la situation n’est pas différente en France : ArcelorMittal, son concurrent, a annoncé la suspension de ses plans d’investissement dans la décarbonation à hauteur de 1,8 milliard d’euros en Europe mais aussi la fermeture au printemps 2025 de deux petites usines à Reims (Marne) et Denain (Nord), qui emploient 135 personnes au total, ainsi que 28 suppressions d’emploi supplémentaires à Valence et Strasbourg.

« Finalement, ce vent de protectionnisme, c’est un vrai test pour l’Europe. Mais est-ce qu’il y a un moyen de contrer ces mesures américaines ? »

Les Etats-Unis ont une longue histoire avec le protectionnisme, mais la rapidité des décicisons prises par D. Trump, et le précédent de 2018 ne sont pas de nature à rassurer les européens, en effet !

L’Union européenne semble déterminée, toutefois, à défendre ses intérêts. Comme en 2018, les dirigeants de l’Union n’ont pas tardé à réagir en évoquant des mesures de rétorsion concertées, fermes et proportionnées. En 2018 déjà, les dirigeants européens avaient ciblé des produits américains et ouvert une procédure devant l’OMC pour dénoncer les atteintes portées par les Américains aux règles de libre-échange.

Mais les dirigeants européens déplorent également un « scénario perdant-perdant ».

Et c’est vrai ! Ces mesures ne sont que les premières d’une longue série : d’ailleurs, trois jours seulement après cette décision sur l’acier et l’aluminium, Trump annonçait des droits de douanes réciproques. Une mesure bien complexe à mettre en oeuvre !

Finalement, que doit-on attendre de cette politique protectionniste à double tranchant ?

Reste à voir si les État-Unis maintiennent le cap du protectionnisme. Rappelons-nous qu’en 2018, déjà, Donald Trump était revenu sur certaines de ses décisions en la matière. Plus récemment, il a suspendu pour un mois les droits de douane de 25 % annoncés sur toutes les importations en provenance du Mexique et du Canada. L’objectif était double : renforcer la sécurité aux frontières avec les États-Unis et lutter contre la contrebande de fentanyl, un opioïde mortel.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.