Artiste européen·ne de la semaine

Ivo Dimchev (SOFIA) - Artiste européen de la semaine

Ivo Dimchev (SOFIA) - Artiste européen de la semaine

  Cette semaine nous nous intéressons au bulgare Ivo Dimchev.  

  

Chapitre 1. Une créativité débordante

Chorégraphe, danseur, plasticien, performeur, musicien, comédien, poète, auteur... Ivo Dimchev, artiste bulgare de 47 ans, est aujourd'hui l'un des auteurs - compositeurs - interprètes les plus célèbres de Bulgarie. Ses travaux artistiques avant-gardistes ont rapidement fait le tour du monde : originaire de Sofia, il a aussi habité New York, Amsterdam, Londres et Bruxelles, et a donné de nombreuses représentations en Autriche, en Suisse, en Pologne, en Suède, en Égypte, en Serbie, en Hongrie, en Espagne et aux États-Unis.Il débute l'art dramatique au début des années 90, et tout au long des années 2000, donne de nombreuses performances dans le domaine de la danse et du théâtre, avec presque une cinquantaine de spectacle à son actif. Parmi ses plus connus on peut par exemple citer Lili Handel créé en 2004, P Project en 2012, ou encore In Hell With Jesus en 2022. Surtout connu dans le domaine de la danse et du théâtre, à partir de 2011, il va donner plus de place à la musique dans les spectacles qu'il crée ; une démarche qui aboutira à un premier album en 2018. Tout son travail est porté par un fort engagement au sein de la communauté LGBTQ. Il est connu pourson discours artistique mené à l'extrême, qui transcende les normes et les tabous. Il aborde des sujets de société sans retenue, exhibe son corps sans complexe, et emploie souvent la dérision, le cynisme et la provocation pour transmettre son message. On verra dans les prochains chapitres qu'il n'hésite pas à mettre en spectacle sa nudité, comme pour Lili Handel, à avoir des propos choquants, comme pour In Hell With Sesus, ou à pousser l'extravagance à l'extrême avec The Selfie Concert. Ivo Dimchev nous présente des œuvres déroutantes, habitées de colère et de sensibilité, qu'il mêle à l'humour, à la dérision et à la mélancolie, cette dernière surtout présente dans ses chansons. C'est ce que nous pouvons constater avec la chansons Morning, paru dans son premier album Sculptures, une bouleversante ballade sentimentale où la poésie et les vibratos du musicien visent directement notre cœur.

   

  

Chapitre 2. Welcome to Cabaret !

Ivo Dimchev raconte qu'il a trouvé dans la pratique artistique un grand réconfort ainsi qu'un moyen d'être libre. Il a grandi homosexuel en Bulgarie, un pays conservateur et patriarcal. Lorsqu'il est enfant il est souvent maltraité par ses camarades. Il débute la scène en Bulgarie au début des années 90 au sein d'une troupe de théâtre expérimental, lorsqu'il a environ 15 ans. Mais il ne se sent pas assez libre, jugeant la scène bulgare trop conservatrice. Il part alors à Amsterdam où il obtient un Master en arts vivants à DasArt Academy. En 2009, à ses 33 ans, il s'installe à Bruxelles où il ouvre Volksroom, un espace de performance pour accueillir des artistes internationaux. Et en 2014, il ouvre MOZEI à Sofia en Bulgarie, un espace indépendant d'art contemporain. Depuis 2001 environ, l'artiste a participé à de nombreuses performances originales dans le domaine de la danse contemporaine et de la performance, en Europe et en Amérique. L'artiste décrit l'art comme un espace dans lequel il peut créer sa propre histoire pour être libre. Une liberté de pensée qu'il partage à travers ses travaux artistiques, dans lesquels il transcende les questions de genre, et bouscule les normes de la société. Ivo Dimchev est connu pour son charisme androgyne, et son style excentrique et inclassable : un rouge à lèvre de couleur vive sur son teint blafard, des paillettes et des strass un peu partout, des tatouages voyants sur tout son corps dont son crâne, des piercing, des perruques, des vêtements fantasques et des airs sensuels... Impossible à étiqueter ou à ranger dans un style. L'artiste s'est créé un personnage et un monde de cabaret à qui et où tout est permis, avec des artifices à l'excès et des airs maniérés... Pour ses concerts il se présente seul sur un tabouret, au centre d'une scène sombre, la lumière sur lui, pour nous transporter dans l'atmosphère sulfureuse des cabarets berlinois des années 30.

Au cours de ses multiples performances, Ivo Dimchev s'est créé un personnage qui sert son discours, traduit sa pensée et accompagne chacune de ses provocations. Dans sa production Lili Handel par exemple, qu'il présente de 2004 à 2015 environ, il joue un personnage androgyne vieillissant et totalement nu qui tente de retrouver sa gloire et sa beauté d'autrefois, personnage avec lequel il questionne le corps comme objet de consommation. Et puis dans son dernier spectacle In Hell with Jesus, présenté en 2022, il interprète un directeur de casting, et fait passer des entretiens à des comédiens. Les questions sont violentes : il faut choisir si l'on préfère coucher avec Poutine ou le Dalaï Lama, si l'on préfère être en enfer avec Jésus ou au paradis avec Trump, ou si l'on préfère être riche en Russie ou célèbre en Chine. 

  

  

Chapitre 3. de retour à la maison

Ivo Dimlchev a habité plusieurs villes d'Europe : Amsterdam,  New York,  Bruxelles et Londres, et a pendant des années sillonné les routes du monde pour présenter ses performances et ses concerts. Et en 2019, l'artiste bulgare rentre chez lui, à Sofia. Et puis arrive la crise sanitaire, et les théâtres, salles de spectacles et restaurants ferment. Alors en avril 2020, environ un mois après le début du confinement en Bulgarie, Ivo Dimchev propose de donner des spectacles privés sur demande chez les habitants. Il raconte  au New Yorker : « Je ne veux pas chanter en ligne. Je veux chanter dans les maisons des gens... Je veux dire dans leurs salons... Ils sont assis sur leurs canapés... Je suis assis sur une chaise à trois mètres de là, mon clavier MIDI sur les genoux. Bien sûr, nous portons tous des masques. J'arrive, je ne touche à rien, je m'assois, je chante pendant 30-40 minutes, et je pars. ». Le prix d'un concert à domicile était l'achat d'un T-shirt Ivo Dimchev. Il considérait les concerts comme une sorte de service public, pour aider les gens à surmonter leur solitude et leur dépression. Un premier concert s'est rapidement transformé en dix, et dix en cent. Des manoirs aux banlieues, en passant par les repaires de hipster dans le centre-ville de Sofia, il est même allé proposer des concerts gratuits chez les Roms - une minorité pauvre et très marginalisée en Bulgarie. Dans les cuisines et les salons des gens, dans leurs caves et leurs greniers, près des lavabos et des machines à laver. Les gens fumaient, mangeaient, dansaient, pleuraient et s'embrassaient ; les enfants couraient partout, les chiens aboyaient, les chats sautaient sur les meubles. Dans une période d'éloignement social, l'artiste lui se rapprochait de son public. Il raconte son expérience : « Cela a une complexité, une profondeur et une beauté qu'un concert normal, même s'il a lieu à Carnegie Hall (une grande salle de spectacle new yorkaise), ne pourra jamais atteindre. ». 

  

  

Chapitre 4. Une voix angélique

« Chanter, c’est ma maison, chanter me rend heureux, chanter me rend gentil, chanter me redonne mon humanité… » raconte Ivo Dimchev au micro de la scène citerne Beirut en 2019, un centre de culture contemporaine au Liban. Et pourtant l'artiste ne donne pas tout de suite une place importante à la musique. Au début de sa carrière en 2000 il voyait cet art plutôt comme un ornement dans ses spectacles et travaillait surtout le théâtre et la danse contemporaine. Mais il s'y est intéressé de plus en plus, jusqu'à proposer des concerts en 2011, et un premier album en 2018 Sculptures. L'album est un succès, il fait des tournée en Europe et en Amérique. Ivo Dimchev fait preuve d'une véritable maîtrise vocale, avec un registre passant facilement d'un baryton grave à un soprano agrémenté de vibratos qui évoquent le thérémine, comme nous pouvons l'entendre dans Traveling Light :

  

  

Ivo Dimchev a publié 3 albums et plusieurs singles, en puisant dans un répertoire musical très éclectique. En passant facilement du bulgare à l'anglais, il puise dans le jazz avec des reprises de Nina Simone et de Billie Holiday, dans la disco et la pop, sans oublier l'opéra, le cabaret, les berceuses, et le folklore, en interprétant des chansons Schlager – de la variété musicale d'Europe centrale - et de la Tchalga – une musique populaire bulgare. Les chansons de l'artiste, comme ses spectacles, tendent souvent vers le drame et présentent une grande intensité émotionnelle. D'ailleurs, presque toutes ses chansons parlent d'amour, qu'il interprète avec une puissante mélancolie, comme on peut l'entendre dans sa chanson Overrated :

  

  

Mais avec son dernier album paru en 2021, Trakia, Ivo Dimchev s'ouvre à quelque chose de plus lumineux, de plus festif, en se tournant vers des instrus plus puissantes aussi.

  

  

Chapitre 5. Un artiste qui en passe pas inaperçu 

En 2018, quelques jours avant la sortie de son premier album Sculptures, Ivo Dimchev se qualifie pour les casting du X-Factor britannique, une émission de télé où l'on participe pour montrer nos talents. Un show qui a un véritable succès, avec quelques 6 millions de téléspectateurs. Ce passage à la télé participe grandement à la notoriété de l'artiste. Surtout qu'il ne passe jamais inaperçu, où qu'il passe, il marque les esprits. L'artiste de 42 ans à l'époque se présente alors sur scène avec une chemise rose grande ouverte pour dévoiler sa poitrine de manière sensuelle, un short noir moulant, une perruque blonde, ses tatouages visibles et un sourire éclatant. Et lorsqu’on lui fait des remarques, il raconte trouver sa tenue trop correcte. Assis sur une chaise, il est vite rejoint par d'autres chorégraphes qui s’animent autour de lui, et chante en passant du grave aux lyrisme aigu avec son vibrato si particulier. La moitié du public le hue, et l'autre moitié l'acclame. Quant aux juges, l'un d’entre eux n'est pas convaincu, qualifiant le numéro « d'un peu trop bizarre ». Mais la bizarrerie, c'est un peu la marque de fabrique de Ivo Dimchev. D'ailleurs, c'est ce qu'il voulait en venant aux audition de X-Factor : « repousser les limites » et se faire remarquer. Et à en juger par ses antécédents en matière d'art de la performance, on peut bien le croire.…

  

  

Une émission proposée par Mari le Diraison.