Cette semaine dans l’Artiste Européenne de la semaine je vous emmène à la rencontre de la chanteuse Mc Soom T, nom de scène issu tout simplement de la phonétique de son prénom : “Sumati”.
Écossaise d’origine indienne -son père est hindou et sa mère sikhe-, Soom T fait depuis la fin des années 1990… Du Reggae ! La culture jamaïquaine a une place toute particulière au Royaume-Uni, qui accueille depuis les années 1940 une part importante de la diaspora.
Celle qui propose un melting pot musical entre Hip hop, influences indiennes, et reggae est surnommée en France par ses pairs “la Reine du Raggamuffin”, d’après l’argot jamaïcain qui désigne l’état d’esprit des “galopins”, “va-nu-pieds”, les jeunes citadins de la rue et par extension le style musical qu’ils ont créé, issu du dancehall reggae.
Elle vient de sortir il y a quelques semaines son sixième album, The Louder The Better, mais je vous propose aujourd’hui de commencer par ses débuts.
Rendez-vous à l’aube des années 2000 ! Soom T a alors 20 ans, croise un micro et c’est.. Hip hop top. Elle se lance d’abord dans le rap, avec le groupe Monkeytribe, “la Tribu des Singes”.
Chapitre 1 : Planète(rap) des singes
Soom T fait son entrée dans la musique accompagnée : groupes, featurings, elle s’entoure d’artistes de toute horizon géographique mais aussi, de styles.
Elle collabore avec le duo allemand électronique BUS, composé de Daniel Meteo et Tom Thiel. Ils sortent l’EP du même nom en 2003, où ce titre est proposé sous trois formats : un à capella, un remixé, et un original. Ici, il est repris par Sudakillah ! Sur des boucles sobres de hip-hop typiques du début des années 2000, Soom T amorce un flow incisif qui fera sa marque de fabrique.
En 2005, les trois artistes sortent un album, Feelin’ Dank, une fusion de Dub et électro toujours.
Le premier titre de l’album, One step Forward est une invitation à se mobiliser et surtout, à ne pas oublier nos valeurs. Soom T demande sur une rythmique entre le dancehall et l’électro : “Est-ce que tu lèveras ? Est-ce que tu prendras la parole ? Est-ce que tu défendras ce qui te paraît juste ?”.
En parallèle de ces collaborations, Soom T se conjugue au pluriel avec le groupe MonkeyTribe, tribu des singes, qu’elle forme avec les DJ Cook et Paladini, le claviériste Griff et le guitariste Col B. Leur premier titre, Delaware, sort en 2004.
Sur ce titre, Soom T dénonce les mensonges des politiques et cherche de la vérité : des textes engagés qui feront sa marque de fabrique !
A quinze ans, la troisième cadette d’une fratrie de sept enfants est déjà militante. Elle participe au Y network, un groupe de jeunes représentants des quartiers de Glasgow. Rapidement cependant, elle recherche un autre support pour transmettre ses idées : la musique n’est pas très loin. Bercée par le hip-hop de Cypress Hill, de Body Count, de Tupac, ou encore le métal de Pantera que lui fait écouter son frère, les musiques indiennes de ses parents, et la pop de l’émission musicale Top of the Pops sur la BBC, Soom T commence à se produire dans des clubs de rap à dix-sept ans à peine. Cinquante livres, c’est le premier cachet que la chanteuse de milieu modeste reçoit pour sa musique : ça l’encourage et surtout ça la décide ! La musique est possible, donc ce sera la musique.
Chapitre 2 : On the road to zion
Zion, ou la Terre Promise des Rastafaris, un lieu spirituel de paix et de liberté en opposition à l’oppression despotique de Babylone. Zion, c’est un lieu utopique mais également géographique : en Afrique de manière large, en Ethiopie de façon resserrée, cette terre qui a toujours gardé son indépendance.
Soom T se lance dans le reggae, notamment en collaborant avec de nombreux artistes du mouvement ! Le titre What is life est réalisé avec Pupajim, alias Jean-Marie Cariolet, un membre du soundsystem français Stand High Patrol. Cette connexion avec la scène française reggae est loin d’être isolée ; Soom T entretient une relation particulière avec ses artistes dont elle apprécie la patte. Le titre est donc un succès au Royaume-Uni, mais aussi en France ! Je l’écoutais moi-même en boucle sur les routes du lycée.
Reggae et écosse, cela peut sonner étrangement. Mais en fait, pas tellement : parenthèse Petits secrets d’histoire avec StépHannah Bern.
Si le reggae occupe autant de place au Royaume-Uni, c’est que depuis les années 1940, il est un des lieux principaux d’accueil des diaspora jamaïcaines : entre les différentes vagues d’immigration des natives et natifs et la présence des descendant.es sur le territoire, la culture s’y est ancrée par et pour les concerné.es, notamment sur la scène musicale. Ce qui n’est pas sans soulever la question de l’appropriation culturelle : si le reggae s’est largement émancipé des terres et du peuple jamaïcains, cette émancipation est parfois critiquée pour ses emprunts un peu rapides et hors sol. Au Royaume-Uni, ces influences auraient pour Soom T plus de chance d’être relative à un “culture sincère de reggae” de fait de l’histoire assez unique du territoire en la matière ; cependant à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, la chanteuse encourage à prendre conscience de cet emprunt et à la l’honorer en tant que tel !
Le titre Did you really know est issu de l’album de Mungos Hi Fi Sound System Champion sorti en 2009. Cette fois-ci, collaboration 100% écossaise : Mungo’s Hi-Fi, alias Tom Tattersall est un producteur de reggae de la région.
Ce titre faisait aussi partie de ma playlist lycéenne !
On retrouve son flow incisif et son empreinte qu’elle définit elle-même de “feel good”. La brûleuse de riddims affirme un style à faire frémir les orthodoxes du reggae : elle y mêle de l’électro, parfois de la pop, et parfois des sonorités indiennes. Elle a trouvé son carrefour!
Parmi ses collaborations les plus remarquées, on retrouve l’album Ode 2 A Carrot qu’elle sort avec le beatmaker Disrupt en 2010. Disrupt, de son vrai nom Jan Gleichmar, connu pour son label Jahtari créé en 2004 et pour ses productions qu’il décrit je cite comme du “reggae sur ordinateur portable numérique”. Electronique pléonasmique que l’on pourrait traduire en une superposition de bandes sonores de jeux vidéos, de l’électro bizarre avec du dub au milieu.
Sur le titre Boom Shiva, Soom T scande des paroles de bienveillance et d’éveil : “spread the knowledge of the most high, most holy and wise”.
Chapitre 3 : Libérée, délivrée
En 2015, à 37 ans, Soom T “finally felt as if I knew how I am”. La connaissance de soi donne le la, c’est le moment : elle sort alors son premier album solo Free As Bird avec le label Wagram Music. Pour celle que la vie a challengé sur la scène musicale mais également dans son enfance, elle le dit, je cite “la musique est la meilleure échappatoire que j’ai trouvée pour combattre les souffrances que j’ai endurées et les épreuves que j’ai traversées.”
Émancipation personnelle mais aussi et toujours politique : ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux, vous écoutez le titre Politic Man.
Politic Man parfois aussi nommé Bad Man ou Bankster dans ses titres, désigne je cite “ a gangster, the people who run society and turned it into nothing but one big business”. En somme, le frère de Big Brother à qui elle s’adresse ici sur un morceau hymnique je cite ““You lie about what you can do, promising everything but truth”.
C’est un des fers de lance de la chanteuse qui poursuit ses engagements militants dans sa musique, dénonçant la corruption financière et morale de la société.
Des Etats, mais aussi celle de la vie quotidienne, qu’elle aborde dans la titre City Zoo. Sur des sonorités pop qui ne sont pas sans nous faire penser à Michael Jackson, Soom T critique les wilds animals, non pas des éléphants, mais bien des citadin.es de l’Occident.
Après la politique stricto-sensu, on retrouve dans les textes de Soom T… La spiritualité, notamment christique. D’après la chanteuse, c’est la désillusion qu’apportent les travers de la politique qui nous déconnecterait du divin. Relation d’amour qu’elle cherche à cultiver, entre une pépinière de tolérance et une permaculture de riddims, et dans cet album, le titre I pray. Soom T défend sur des sonorités r'n'b : “I pray for them, I pray for them who say mean things and judge me like a fool”. Si Soom T avait inventé le dicton “la bave du crapaud n'atteint pas la blanche colombe”, il aurait plus ressemblé à “la bave du crapaud… parle de la souffrance du crapaud”.
Chapitre 4 : To good to go
Direction 2022, on écoute son cinquième album, Good, produit par le propre label de Soom T, Renegade, qu’elle a créé en 2011. Un album entre l’Ecosse, l’Italie et la France ! Dans cet album, on retrouve une fois de plus le “feel good” de Soom T : des textes engagés, dénonciateurs, mais qui pour autant, ne perdent pas en optimisme, humour et foi. Sur le titre Yes My People, elle scande : “together we can end this war, that is why I see why we need to all unite”.
Pour cet album, Soom T a fait appel à plusieurs de ses pairs : DJ, producteur, musicien, elle s’est entourée à l’internationale. A commencer par la France : le titre que vous venez d’écouter a été réalisé avec le producteur grenoblois Kiko, un des fondateurs du duo électro des années 1990, Phunky Data, qui a aussi travaillé sur le morceau Big Bad World ; on y reconnaît sa touche plus digitale, sur la dub joyeuse de Soom T.
Big Bad World est une référence au confinement. Le titre commence par une annonce de journal TV : “Good evening ladies and gentleman, National News tonight, we’re going to talk about crimes, murders, wars, suicide, social crisis and I hope you’re gonna enjoy your program”. Un titre sous le drapeau de l’ironie.
La Dub de Soom T rencontre le jazz du producteur français Alex Dupuis -du label Flash Hit Records- sur le morceau One Real Friend. Les cuivres swing pendant plus de cinq minutes ! Cinq minutes et un message : “The only advice I’ve got to give to the youth Don’t let a bad spirit ever try to control you Coz all they care about is what they can get themselves”, “ Le seul conseil que j’ai pour les jeunes, c’est de ne jamais laisser un esprit mal intentionné vous contrôler ; tout ce qui les intéresse c’est leurs intérêts personnels”. Jeunes et moins jeunes, on prend des notes !
Dub, jazz, voire pop, les seize titres de l’album mêlent ses différentes inspirations et celles de ses collaborateurs : certains titres étaient dans les petits papiers depuis plus de dix ans.
Après les français Kiko et Alex Dupuis, c’est le entre-autre beatmaker italien Dub Gaudi, une des figures soundsystem londoniennes où il réside depuis 1995 que Soom T invite sur l’album. Ils font ensemble le titre Don’t stand for dis, et le titre Steps, où on écoute sur des samples subtiles les prières de Soom T : “ How many steps Lord have I taken? How many hearts have I felt aching? How many times was I left shaking Like a leaf?”
Soom T réalise Feel Good avec ses fidèles musiciens, The Stone Monks -des moines pas très sobres- qui l’accompagnent lors de chacune de ses tournées. Les musiciens ont travaillé pour cet album avec l’ingénieur son Xavier Waks, qui a également travaillé pour Ben L’Oncle Soul en 2019. C’est Xavier qui a mixé Good dans son studio 31DB, dans le XIème arrondissement parisien. Peut-être n’étiez-vous pas très loin à ce moment-là ?
Chapitre 5 : Toujours plus haut, toujours plus fort
Son dernier album est sorti le 13 octobre dernier, The Louder the Better (entendre “plus c’est fort mieux c’est”) sorti sous propre label, Renegade Masters !
Cet album a été réalisé entre le Brésil (où Soom T a passé une partie du confinement), les Etats-Unis (où vit son ingénieur son) et la France (où son acolyte, le DJ lyonnais Kunta, réside).
“Don’t Worry about a thing, cause every little thing gonna be all right” ces paroles vous disent quelque chose ? Elles sont de Bob Marley and the Wailers, les icônes du reggae ! Dans l’album The Louder the Better, leurs influences ne sont pas que spirituelles : c’est l’ingénieur son du groupe phare, Christian Cowlin, qui s’est occupé d’une bonne partie de l’album de Soom T ! Il a réalisé les enregistrements et la majorité des instruments. Joli hommage !
Du coup, vous imaginez le paysage sonore de cet album derrière sa pochette où des tournesols nous font de l'œil : des influences roots solaires aux allures parfois de flash-backs, vers une époque que personnellement, j’aurais bien aimé connaître.
C’était le titre Prophets : “Nobody knows the future, nobody knows the plan, nobody makes the rule of laws written in the halls of heaven”. Des paroles de foi, d’espoir toujours, notre prophète à nous du feel-good maintient son cap vers l’avenir : un album engagé entre conscientisation des luttes et émancipation.
L’envolée, un thème récurrent : après les Three Littles Bird de Bob Marley, on retrouve le titre Fly My Bird de Soom T : “Fly my bird, you are free, Open eyes and see, You are no more a slave in the world”, “Vole mon oiseau, tu es libre, ouvre les yeux et regarde, tu n’es plus un esclave du monde”. Rendez-vous dans les nuages, on ouvre grand les yeux et on oublie pas de faire attention aux avions, vous écoutez le titre pop Fly my Bird.
L’AELS de la semaine dans cette semaine dédiée à la “Reine du Raggamuffin”, alias Soom T, c’est fini pour aujourd’hui et pour cette semaine.
Un vrai plaisir d’être parties ensemble sur la route d’une des artistes qui a bercé mon lycée, elle n’est pas prête de disparaître de mes playlists !
Je vous laisse avec le titre Walk in The Earth, mon préféré de l’album. La batterie et la basse sont signées Mafia et Fluxy, alias Dave et Leroy, un duo de producteur jamaïcain et britannique. Soom T nous invite à écouter les mots de celles et ceux qui ont arpenté notre terre, à apprendre du parcours de clles et ceux qui y reposent.
De quoi potasser tout le week-end !
Quant à nous, on se retrouve dès la semaine prochaine pour suivre les pas d’une ou un nouvel artiste.
Bonne introspection et à lundi !
Une émission proposée par Hannah Tesson.
