Cette semaine, édition spéciale : nous nous plongeons dans l’histoire musicale anglaise avec l’intention ferme et résolue, de rendre justice à celle que le média The Muse Patrol appelle “la sainte patronne des dépossédés du pays”. A Euradio, nous ajouterions dépossédées “ées”, car le sort de la musicienne que nous allons suivre cette semaine n’est malheureusement que peu étranger à son genre. Cela, notre artiste de la semaine le sait, et c’est avec ferveur qu’elle le combat depuis ses jeunes années. Guitariste, compositrice, chanteuse, écrivaine, féministe, mère et même prof d’aérobique, je vous demande d’applaudir Viv Albertine !
Chapitre 1 : I love rock'n'roll
Viv Albertine fait son entrée sur scène en 1977 avec le groupe féminin Slits, un an seulement après avoir plaqué ses premiers accords au débotté dans le groupe The Flowers of Romance avec la batteuse Palmolive et la bassiste Tessa Pollitt.
Avant de faire de la musique, Viv en écoutait : fille d’une anglaise et d’un corse, Viv grandit dans les années 1960 et 1970 avec en boucle sur les lèvres les mots “Clothes, Boys, music” : trois topics bien politiques pour les filles d’alors -et d’aujourd’hui encore- qu’Albertine aura à cœur de dénoncer en s’achetant sa première guitare à 22 ans. Il est temps de féminiser la scène punk rock anglaise !
Viv Albertine rejoint en 1978 le groupe de punk rock féminin Slits avec Tessa et Palmolive : le premier line up du groupe vient de se séparer et ne reste que la chanteuse d’alors 14 ans, Ari Up, aka Ariana Foster. Dix ans avant les Riot Grrrrl, Les “Fentes” anglaises, jouent des coudes et se font une place sur les scènes anglaises punk entre les Sex Pistols et les Clash.
Avec ces deux groupes, Les Slits entretiennent des liens amicaux et professionnels : elles sont soutenues par la manageur des Sex Pistol, Malcolm Mclaren, qui les bookent pour la première partie de la tournée de 1978 des Clash : The White Riot Tour.
Les Fentes font un tabac !
Elles sortent leur premier album Cut la même année, un album qui se fait alors remarquer dans la scène punk de l’époque : d’abord parce que fémin et féministe -denrée alors rare-, puis pour son énergie alors très singulière sur laquelle fusionne dub, reggae, et rock’n’roll baby !
Qui de mieux que Viv Albertine elle-même pour en faire la promo ? Vous l’écoutez parler à Richard Skinner sur la BBC en 1979.
Dans le morceau ShopLifting, les Slits érigent le vol à l’étalage en art de la subsistance et de la résistance face au manque d’aide sociale. Un tuto du vol à des fins de justice sociale, je cite : “mets le cheddar dans la poche, mets le reste sous la veste, parle au caissier, il ne se doutera de rien, les babyloniens ne perdront pas grand chose et nous dînerons ce soir”.
Chapitre 2 : Cut is the new punk
Cette semaine, nous suivons une musicienne anglaise nouvellement chère à mon cœur : la seule, l’unique Viv Albertine ! Celle qui n’a pas la guitare dans sa poche commence la musique à la fin des années 1970 avec le groupe punk rock dub The Slits, groupe 100% féminin et 100% féministe ! Ari Up au chant, Viv Albertine à la guitare, Palmolive à la batterie et Tessa Pollitt à la basse ouvrent la voie dix ans plus tôt aux Riot Grrrrl. Hier, nous avons commencé à écouter leur premier album Cut sorti en 1978, je vous propose que l’on continue sur cet album aujourd’hui, car pourquoi s’en priver, il est génial !
Leur titre iconique Typical Girls traverse les âges autant pour sa musique -La légende raconte qu’il faisait partie des tracks préféré de Kurt Cobain- que pour ses paroles : Ari Up critique les nombreuses injonctions faites aux femmes, je cite : « elles ne peuvent pas penser, pas se rebeller seulement attendre leur mari ».
Les Slits, elles, n’attendent personne et nous l’avons vu hier, elles gravitent dans la nébuleuse rockeuse londonienne. Avec le groupe Clash et les Sex Pistols, elles entretiennent en groupe et individuellement des liens très étroits. Le titreTrain In Vain -ou Stand By Me- des Clash que vous connaissez peut-être est ainsi considéré comme une réponse au titre Typical Girls : Train In Vain aurait été écrit par le chanteur Mick Jones après sa rupture avec Viv Albertine.
Si cette proximité a pu être salvatrice à un moment en termes de visibilité et d’opportunité pour le groupe, paradoxalement -mais pas trop dans nos sociétés patriarcales- elle a aussi contribué à les maintenir dans l’ombre, étant toujours ramené à ces liens sans réussir à s’en défaire. Le média Pitchfork dénonçait ainsi la tragédie qu’un morceau à propos de Viv Albertine soit plus connu que ses chansons à elle, et je suis bien d’accord avec eux ; je ferme donc la parenthèse !
Sur le titre FM, les Fentes dénoncent la propagande médiatique ; La FM, étant alors moins la radio que de la “Frequent Mutilation”. Vous l’avez entendu, la musique des Slits c’est toujours un esprit punk, du rock mais c’est aussi des sonorités plus ou moins fortes de dub-reggae.
Des fusions créatives, tout autant que leur recherche visuelle : la pochette de l’album est elle-aussi devenue iconique. Dessus, la chanteuse, la bassiste et la guitariste se mettent en scène et posent torse nue en amazone couverte de boue !
Ces choix de tenues très politiques, Viv Albertine les explicitera en 2012 dans son livre autobiographique Clothes Clothes Clothes Boys Boys Boys Music Music Music. Tampon hygiénique peint en rouge en guise de boucle d’oreille, culotte par dessus les collants, et robes alternatives, les tenues pour la guitariste étaient autant de l’ordre de la performance artistique qu’une dénonciation courageuse des normes sexistes. Viv Albertine ne s’est pas trompée de combat car en face, ça dérange beaucoup : nombreux sont les crachats où menaces verbales et physiques qu’elle a reçu.
Cet album se clôt par une reprise du titre soul de Marvin Gaye I Heard It Through The Grapevine. A la sauce Slits, ça rend un morceau punk malicieux !
Chapitre 3 : Slits XXL
Cette semaine, nous suivons la guitariste badass des Slits, le groupe de punk féminin anglais de la fin des années 1970, j’ai nommé la fameuse Viv Albertine ! Après avoir écouté le premier album du groupe sorti en 1978, aujourd’hui je vous propose que nous écoutons le second et le dernier sous cette composition : The Return of the Giant Slits ! Sur cet album, le batteur de The Pop Group, le punk Bruce Smith, accompagne les Fentes, vous pourrez entendre ses rythmiques enjouées.
Le titre Earthbeat ouvre l’album ; c’est un titre dont la mélodie est tournée droit vers le pays du soleil levant ! Dans le bonus track du même nom, les paroles sont même entièrement en japonais. Et à cette époque, c’était plutôt très rare de trouver des musiques fusions traditionnelles qui aillent piocher au Japon !
Cet album, c’est à peu près ça : l’expérimentation de styles plus lointains que le rock (sauf Earthbeat que vous venez d’écouter), les titres se rapprochent de l’afropop. Le tout avec une énergie plus ancrée mais toujours dénonciatrice !
Sur la pochette, on retrouve les Slits dans un décor d’apocalypse type Pompéi qui n’aurait laissé en vie que les femmes, vivant leur best life dans des thermes de laves.
Les hommes ne sont pas pour autant absents de cet album ; on retrouve donc Bruce Smith à la batterie, et sur certains instruments le musicos Steve Beresford qui a également participé à la direction artistique de l’album. A cette époque, Steve est une référence du milieu, il chapeaute plusieurs groupes en même temps : comme les punk japonais de Frank Chickens et les rock expérimentaux de Blurt.
Sur le titre Difficult Fun, les Fentes s’essayent à un dub que l’on rangerait bien dans la catégorie Dub classique. Ne vous méprenez pas, pour la chanteuse Ari Up je cite “Fun Is Not easy” !
La première formation des Slits s’arrêtera malheureusement avec cet album. C’est comme ça c’est la vie, vie qui appelle les membres sur d’autres projets ; parfois d’ailleurs très éloignés : Ari Up troque non seulement son nom pour Babi Dolli ou Medusa, mais aussi Londres pour la Jamaïque et la musique contre une carrière de mannequin-danseuse.
C’est le début de la fin pour les fentes ! Qui laisse notre guitariste Albertine plutôt désemparée : celle qui avait tout misé sur les Slits a alors 27 ans, pas de formation professionnelle ni de projet en tête, et manque de confiance sur son niveau de guitare.
Albertine lâche alors sa telecaster qu’elle ne reprendra que 25 ans plus tard : entre-temps, Albertine s’essaye à l’enseignement d’aérobique, à la production d’émission TV, au mariage, au travail de mère au foyer et laisse la musique derrière elle.
Heureusement, pas pour toujours !
En attendant d’en savoir plus, je vous propose le joyeux titre des Slits Improperly Dressed pour garder le moral après ces tristes nouvelles ; un titre qui nous donne l’impression d’avoir débarqué dans une fanfare anar de la Nouvelle Orléans.
Chapitre 4 : She's flesh, she's so fresh
Cette semaine nous sommes à Londres en la très bonne compagnie de la chanteuse et musicienne Viv Albertine, un bébé de 1954 qui s’achète sa première guitare au pied levé à l’âge de 22 ans avant de plaquer des accords punk au sein du groupe féminin The Slits à la fin des années 1970. Hier, nous l’avons laissé désoeuvrée en 1984, date à laquelle le groupe se sépare… tristesses et désolations. Celle qui ne touchera pas sa guitare pendant 25 ans, prise avec sa vie de famille, reviendra sur le devant de la scène à la fin des années 2000 lorsque Ari Up réunit de nouveau le groupe pour une date Barcelonaise. The Slits sortiront un dernier album en 2009, Trapped Animal, mais Viv Albertine n’en fait pas partie ; et le groupe s’arrête tragiquement l’année suivante avec le décès d’Ari Up. Albertine reprend alors la musique… En Solo !
C’est par un hommage à David Bowie que Viv Albertine fait son come back en participant à l’album collectif We were So Turned On : a Tribute to David Bowie sorti en 2010, 6 ans avant le décès de Bowie. Vous venez d’écouter la reprise par Viv Albertine du titre A letter to Hermoine.
Mais son retour ne s’arrête pas là : Albertine sort son premier EP solo la même année, l’EP “Flesh", “la chair”, un EP plus doux et vulnérable que la musique des Slits. Après 25 ans sans écriture, la composition de cet EP pour la guitariste c’était je cite “comme une avalanche. Je suis devenue comme une adolescente qui devait jouer dans sa chambre tous les jours… C’était assez étrange pour une femme d’un certain âge de se sentir comme ceci [mais] j’ai réalisé que je ne savais pas ce qui se passait en moi jusqu’à ce que tout sorte de la guitare”. Et quand Albertine dit tout, c’est un tout qui commence avec l’amour, celui qui ne dure qu’un jour, celui de tous les jours, comme celui qui existe de nos jours.
Le titre I Don’t Believe in Love, pierre angulaire de l’EP, présente bien la mission du projet : une enquête sur l’amour à notes ouvertes. Albertine explore une dualité qui n’a de cesse d’animer les philosophes depuis plusieurs millénaires, la rupture corps/esprit, désir/sentiment, chair/spiritualité. Pour elle, spoiler alert, la chair surpasse le monde des idées, et le partage du corps est la manifestation la plus concrète de l’amour !
Viv Albertine ne croit pas en l’amour, peut-être car elle ne connaît que trop bien la désillusion qu’il peut causer. Albertine se désespère sur le titre Never Come : “Tu ne viendras jamais pour moi, je ne sais pas pourquoi, es-tu trop gêné, trop occupé ou trop timide ?”. Ou peut-être les 3 à la fois ? Je vous préviens, le refrain de Never Come fait partie de ceux qui, sans contrat de location, squatte nos esprits pendant plusieurs jours. C’est l’anarchie, c’est Never come !
Chapitre 5 : Ouvrez les frontières
Aujourd’hui nous terminons notre semaine dédiée à la guitariste anglais Viv Albertine ! Une badass en son genre connue entre-autre pour s’être imposée dans les scènes punks je cite “de chauvinisme mâle” des années 1970 avec le groupe féminin The Slits ! Depuis hier, nous branchons dans nos oreilles ses sorties en solo plus d’¼ de siècle plus tard, car Viv Albertine, c’est aussi une chanteuse et compositrice en elle-même, pour elle-même ; son album The Vermillon Border est sorti en 2012. On l’écoute aujourd’hui, faites du bruit pour Albertine!
Le titre Confessions of a Milf est un de mes préférés, dans lequel Albertine montre à quel point le “home sweet home” peut vite prendre des allures de prison pour les gardiennes des lieux. Il se termine par un : “SHOES OFF” “, “les chaussures c’est dehors” qui vient du cœur et on le sent, de l’habitus social.
Car dans cet album, Viv Albertine rattrape 25 ans sans musique, 25 ans pendant lesquelles elle avoue s’être oubliée au profit de sa famille, comme malheureusement beaucoup de femmes.
Alors la guitariste vide son sac dans l’album, toujours fidèle à l’esprit contestataire, féministes et aux instincts non commerciaux des Slits. Désillusions du mariage, divorce, les rencontres de l’après, travail de care fait aux enfants, ménage à répétition, ou encore fausses couches, La Frontière Vermillon est une fenêtre musicale et politique sur le quotidien d’une femme dans nos sociétés. Par lequel, peut-être, Albertine recolle les morceaux de sa vie et de son identité, et nous montre que faire du punk, c’est peut-être moins faire de bruit le plus fort que de donner vie aux vérités les plus radicales. Cet album c’est alors comme la Chambre à Soi de Virginia Woolf… Et le torchon brûle !
En politique comme dans sa vie amoureuse : Viv Albertine raconte ses rencontres sans trop d’amour, ni d’ailleurs trop de considération, demandant finalement si la banalisation des rencontres récréatives hétéro est réellement une libération sexuelle pour les femmes ou si elle ne ressemblerait pas à une autre cage dorée ? Sans compromis féministe, c’est le titre Hookup Girl !
L’artiste Européenne de la semaine dans cette semaine dédiée à Viv Albertine, c’est déjà fini !
Merci à vous d’avoir partagé cette route avec moi des années 70s jusqu’aux années 2010 et merci à notre guitariste de l’avoir éclairé de sa musique, son engagement, et son humour sans faille. Il faisait bon vivre à ses côtés, sous son manteau punk contestataire. Si vous voulez poursuivre le voyage, je vous conseille son récit autobiographique Clothes Clothes Clothes Music Music Music Boy Boy Boysorti en 2012, d’après la phrase que lui répétait sa mère quand elle était enfant, parce que, je cite : “il y a que ça qui t’intéresse”. C’est une immersion encore plus immersive dans son parcours !
Nous avons le temps pour un dernier morceau, alors je vous propose le titre In vitro dans lequel Albertine fait référence à ses difficultés pour devenir mère. On pleure et on rit à la fois, car avec Viv Albertine, c’est souvent les 2 en même temps. Bon week-end à vous, bon week-end à elle, et à la semaine prochaine, sur les pas d’un ou une nouvelle artiste sur Euradio !
Une émission proposée par Hannah Tesson.