Cette semaine nous nous intéressons au londonien Cosmo Sheldrake.
Chapitre 1. La musique depuis toujours
Cosmo Sheldrake naît en 1989 à Londres. La musique l'accompagne toute son enfance : son père, biochimiste, est aussi organiste, et joue beaucoup de Bach au piano de la maison. Sa mère est musicologue et enseigne le chant diphonique mongol. Cosmo Sheldrake commence le piano à quatre ans. Il reçoit à son adolescence un synthétiseur électronique Roland à huit pistes sur lequel il commence à boucler des sons qu'il enregistre autour de lui. Il se passionne aussi pour la collection et l'apprentissage de nouveaux instruments, en commençant par la guitare à ses dix-sept ans. Aujourd'hui, Cosmo Sheldrake joue plus de 30 instruments. Et puis arrive l'université, où il étudie entre autres l'anthropologie et l'ethnomusicologie. C'est aussi à cette période qu'il commence à se produire sur scène avec son projet en solo, dans lequel il fait de l'assemblage, du coupage et du collage sonore, à partir d'un grand nombre de sonorités différentes. Entre instruments exotiques, orchestration, et biophonie – des productions sonores de la nature. Il faut bien le reconnaître, Cosmo Sheldrake défie toute catégorisation. Personne ne crée de la musique comme il le fait !
Le titre Linger Longer, qui ouvre l'album The Much Much How and I paruen 2018. Son seul album à ce jour, entouré de 4 EP et de plusieurs singles. En plus de ses travaux en solo, il a aussi réalisé plusieurs collaborations, notamment avec son premier groupe Gentle Mystics et un duo Don't. Il a aussi fait de la composition, pour une série de pièces de théâtre de Samuel Beckett, pour Relax & Dream -un projet pour enfants hospitalisés – et puis en 2017, il a composé la bande son de Moving Art, une série Netflix sur la nature. Il a également dirigé une chorale communautaire à Brighton, et il a travaillé comme animateur d'ateliers musicaux en Europe et en Amérique du Nord. Enfin, il a donné une conférence Tedx intitulée Interspecies Collaboration pour montrer comment créer de la musique à partir des sons de la nature.
Chapitre 2. Un collecteur de sons
Cosmo Sheldrake, c'est une musique éclectique et sans barrière de style. Ses inspirations sont nombreuses : il y a la musique classique, notamment Bach et Stravinsky, et la musique concrète de Pierre Shaeffer et Bernard Parmegiani, qui l'ont accompagné toute son enfance. Il y a aussi le rock, des Beatles et des Kinks, et les musiques du monde, dont les musiques traditionnelles irlandaise et amérindienne qui l'intéressent particulièrement. Enfin, il développe très tôt – vers ses sept ans - une passion particulière pour le jazz et le blues de la Nouvelle Orléans. Plus tard d'ailleurs il voyage là-bas, et s'inspire des musiques de cette ville pour son premier album, The Much Much How How and I. Les morceaux Linger Longer et Wriggle par exemple mélangent l'énergie des parades de Bourbon Street au folk d'Europe de l'Est, au baroque, au blues et au gospel. Et dans le morceau Hocking, on peut entendreles cuivres de la Nouvelle-Orléans se mêlant aux mélodies shintoïstes du japon.
D'une curiosité sans limite, le musicien Cosmo Sheldrake est aussi un collectionneur d'instruments des quatre coins du monde, qu'il a récolté durant ses voyages. Dans son premier album The Much Much How How and I paru en 2018 nous pouvons par exemple entendre un tambour koto japonais, un contrebasson, un clavicorde, un doudouk, une flûte ney turque et une harpe celtique. Mais ce sont surtout les instruments à vent, qui sont à l'honneur dans cet album.
Chapitre 3. Un musicien écologiste
La Tardigrade Song, inspirée du tardigrade, un animal microscopique qui vit dans des milieux très variés. Une des sources principales de la musique de Cosmo Sheldrake, c'est sans aucun doute sa forte relation avec la nature. Fils d'un biochimiste et frère d'un biologiste, Cosmo Sheldrake a lui aussi développé sa passion pour la nature et les animaux. Il a une forte conscience écologiste, qu'il fait transparaître à travers sa musique. Dans les paroles par exemple, comme pour la chanson Egg and Soldiers dans laquelle il partage ses préoccupations concernant la vision à court terme d'une société consumériste qui oublie souvent de s'attaquer aux grands défis écologiques : « Je regardais par-dessus mon épaule, Ne pensant qu'au court terme, Mais le temps me regardait ».
Cosmo Sheldrake enregistre les sons de la nature afin de créer de véritables paysages sonores immersifs, pour valoriser la musique naturelle de notre environnement, et nous sensibiliser par rapport à lui. Il s'inspire beaucoup des travaux des « écologistes acoustiques », qui réalisent des travaux d’étude à partir d’enregistrements sonore naturels afin de tirer des informations sur l'écologie des espèces animales. Dès ses seize ans Cosmo Sheldrake parcourait le monde pour enregistrer les sons de la nature, notamment des chants d'oiseaux. Et cette passion pour l’ornithologie ne se perd pas, et il y consacre un EP en 2020, Wake Up Calls.
Un
butor,
un hibou
des marais, un coucou, un plongeur à gorge noire, une alouette, un
vanneau, un rossignol, un bruant des neiges, une linotte, une caille
et une moucherolle pie. C'est ce que vous venez d'entendre dans la chanson Bittern.
Cet EP Wake Up Calls, c'est à la fois une forme célébration de la
beauté des chants d'oiseaux, ainsi qu'une alerte
sur l’extinction animale. Car à l'exception du rouge-gorge et du
merle, qui ne sont pas encore en voie de disparition, tous les
oiseaux présentés sur l'album figurent sur les listes rouge des
oiseaux britanniques en voie de disparition.
Il
y a peu Cosmo Sheldrake a publié un nouvel EP, Wild
Wet World,
présenté comme un hommage à l'océan. C'est une véritable
immersion dans le monde marin, à partir de sons récoltés durant
dix années. Il présente par exemple des enregistrements de la
dernière communauté d'orques de la côte ouest d'Écosse, un groupe
qui utilise un dialecte unique pour communiquer entre eux. Cette
communauté est voué à l'extinction en raison des contaminants
chimiques présents dans les eaux qu'elle fréquente et qui
l'empêchent de se reproduire. On entend aussi le son d'un récif
corallien qui revient lentement à la vie, réalisé à partir des
travaux du biologiste marin Steve Simpson, qui suggère que diffuser
le son de récifs coralliens en bonne santé sur des récifs mourants
peut aider à faire revenir des espèces clés et à restaurer la
santé de ces écosystèmes complexes. Avec cet EP, Wild
Wet World,
Cosmo Sheldrake poursuit son engagement écologiste, notamment en
attribuant 50% des redevances d'édition à des organisations qui
soutiennent les créatures et les écosystèmes en voie de
disparition, dont
les voix figurent sur l'album, et que nous entendrons peut-être plus
jamais.
Chapitre 4. Une poésie de l'absurde
Dans les précédents chapitres, nous avons parlé musique et son. Dans celui-ci nous allons parler poésie. Car ce langage aussi est très important chez Cosmo Sheldrake, qui ne fait rien dans les normes. L'artiste met en musique une poésie de l'absurde, un genre qui s'inspire de la tradition anglaise de la littérature Nonsense et qui a souvent un ton fantaisie et humoristique. Quant à la poésie de l'absurde, c'est un style particulier dans lequel l'auteur inclut volontairement des éléments incohérents, injustifiés ou sans réelles significations. Pour la chanson The Moss par exemple, il faut écouter les paroles sans forcément essayer d'y trouver un sens : « Mais avez-vous entendu l'histoire du lapin dans la lune ?, Ou de la vache qui a sauté les planètes en chevauchant une cuillère ?, Ou encore celle qui sautait les montagnes en sifflant un air, Et qui échangeait ses chansons avec les hirondelles en chevauchant un balai. »
Et pour Wriggle, les paroles imitent les discussions d'oiseau, et ne cherchent pas à faire sens : « Descendons, ne veux tu pas descendre ?, Et frétiller, chanter en chœur, Mettre des cornichons et jouer du Mellotron ? »
Mais l'absurde ne signifie pas non plus que ses textes sont totalement dénués de sens, il utilise en fait des images et l'imaginaire pour raconter des choses qui ne sont pas enfantines. Egg and Soldiers par exemple, traite de notre rapport au temps, de nos intérêts personnels à courte vue, de la consommation quotidienne et du fait de ne pas vraiment réfléchir à notre relation avec la situation dans son ensemble. Les vers « Nous jouerons pendant que Venise se noie » et « les sous-marins ne peuvent pas nous sauver maintenant » par exemple parlent de l'élévation du niveau des mers, et la phrase « nous avons gravi une colline et nous sommes tombés » parle de l'orgueil de cette ère industrielle et matérialiste.
Et puis la chanson Solar Waltz, en apparence une jolie poésie de mois de mai, parlant de la beauté de la nature à cette période, est en fait une alerte sur la canicule qui arrive avec l'été, du au changement climatique, et qui assèche la faune.
Chapitre 5. Des balkans à l'électro-pop
Nous avons consacré les quatre précédents chapitres à Cosmo Sheldrake et à ses projets menés en solo. Mais aujourd’hui, je vous propose d'élargir les horizons, et parler des autres de ses projets musicaux. Cosmo Sheldrake a commencé sa carrière musicale avec Gentle Mystic, un groupe qu'il fonde en 2017 à ses 18 ans et qui rassemble neufs musiciens et musiciennes, parfois moins, parfois plus. La musique de Gentle Mystic est un genre de carnaval anglo-balkanique, aux multiples influences allant de l'électro à la valse, du jazz au blues, ou encore de la folk jusqu'au hip hop. Ils ont présenté un seul album en 2011, intitulé comme le groupe Gentle Mystics, et qui nous emmène dans un univers différents à chaque morceau. Le titre Hark par exemple transporte les Balkans dans le royaume de Super Mario, avec un mélange des musiques gipsy et du dupstep. Deep Sea Detective va plutôt vers le hip hop et l'électro. Midnight 3 days Ago est une marche funèbre balkan, Mushroom 30,000 est totalement électro à la première moitié, puis se transforme en chanson de fête bulgare. Creamy Machine est sombre, un peu comme une musique de film d'horreur. Et pour annoncer tout cela, Gentle Mystics introduit l'album avec la chanson Sit with Me et la voix envoûtante de Noémie Ducimetière.
A la suite de Gentle Mystics, Cosmo Sheldrake décide de mener sa carrière en solo, ce qui a plutôt bien fonctionné pour l'artiste qui parcours aujourd'hui de nombreuses scènes d'Europe. Mais il s'est remis en collaboration récemment, en 2020, pour un projet avec sa femme Flora Wallace, une artiste visuelle. Le duo s'appelle Don't, et nous présente une électro-pop organique à la fois délicate et dansante.
Une émission proposée par Mari le Diraison.
