Cette semaine, nous nous intéressons à la cantaore andalouse Rocío Márquez.
Chapitre 1. Une carrière musicale à succès
La chanteuse Rocío Márquez est devenue très rapidement connue pour son flamenco aux racines traditionnelles, puis revisité et mêlé à des sonorités plus contemporaines. Elle commence le flamenco à 9 ans à la Peña Flamenca de Huelva, puis étudie au conservatoire le piano, l’harmonie et le solfège. Elle reçoit un premier prix à 11 ans en participant à l'émission de télé Menudas Estrellas sur la chaîne Antena 3. En 2005 à ses 20 ans elle part pour Séville, capitale d'Andalousie, où elle étudie à l’École internationale d'Art Flamenco, et se produit dans des hauts lieux du flamenco comme le théâtre de la Zarzuela et l'Escorial à Madrid. Le Festival del Cante de Las Minas de 2008 marque le début de son succès. Dans le cadre de ce festival se déroulant chaque été dans cette ville minière, les artistes débutants se réunissent pour un concours de flamenco, où Rocío Márquez remporte 5 récompenses. La soirée au Théâtre antique d'Arles de juillet 2010 à ses 25 ans, sera le deuxième moment clé de sa carrière. Ce soir-là, la chanteuse andalouse ouvre la soirée flamenco avec en tête d’affiche Diego El Cigala, c'est sa première fois sur une scène française. Le chanteur est retardé par une grève, et Rocío Márquez doit faire patienter un public de 4000 spectateurs. Très vites, ils tombent sous le charme de sa voix, et les rappels s’enchaînent. Depuis lors, elle multiplie les engagements dans son pays et au-delà, se produisant à la Biennale de Séville, au Théâtre royal de Madrid, à l'Olympia à Paris, à l'Opéra de Düsseldorf, à Chicago, Tokyo, Rome ou encore Istanbul. Très vite, les publics étrangers sont attirés par sa voix singulière, ainsi que par le contenu de sa musique, profondément encré dans la tradition andalouse du flamenco, et très engagé socialement. Mais c'est une autre histoire, que nous verrons dans un prochain chapitre.
La cantaora Rocío Márquez produit 6 albums, qui reçoivent tous des éloges. Elle fait plusieurs collaborations artistiques, comme avec l'orchestre National d’île de France, le Royal Philharmonique de Liège, ou encore avec la pianiste et réalisatrice espagnole Rosa Torres-Pardo. Elle a également été active dans le domaine universitaire où elle écrit une thèse sur la technique vocale dans le flamenco, elle est conférencière sur la voix flamenca, et enseigne dans le cadre du master en recherche et analyse du flamenco.
Chapitre 2. Des racines artistiques profondes
La chanteuse de flamenco Rocío Márquez a les mêmes origines que sa musique : l'Andalousie. Née en 1985 à Huelva, elle grandit entourée de musique et de traditions, et prend goût au chant très jeune. S'il n'y a pas de cantores dans sa famille - des chanteurs et chanteuses de profession - le cante est toutefois très présent. Chez elle, on aime beaucoup les Fandangos et la Sevillana, des styles musicaux traditionnels andalous. D'ailleurs, ce n'est pas la cas de sa famille uniquement, c'est aussi le cas de tous les enfants de Huelva, qui toute la journée fredonnent les mélodies traditionnelles andalouses :
Musicienne phare de la scène flamenco actuelle, si ce genre est écouté dans le monde entier, il est toutefois souvent méconnu. Le flamenco naît au XVIIIe siècle au sain du peuple andalou, et il englobe de nombreux sous-genres, appelés « palo », que la chanteuse Rocío Márquez aime revisiter. Il y a par exemple la Malagueña, un palo de flamenco originaire de Malaga, un chant populaire construit par des couplets de quatre vers d'octosyllabes sur un rythme ternaire d'un mouvement assez vif. Il y a aussi le Petenera, un autre palo de flamenco faisant parti du cante Jondo, soit « chant profond », le plus ancien répertoire du flamenco. Puis il y a le Buleria, un palo festif du flamenco, ou encore le garrotin et tant d'autre. Rocío Márquez interprète donc le répertoire du flamenco dans son ensemble et sa diversité, qui comprend entre autre ces palis que nous venons de citer. La cantaora va encore plus loin, car elle interprète également d'autres styles musicaux comme la copla, une musique populaire issue du folklore espagnol.
Chapitre 3. Une voix singulière
Rocío Márquez s’inscrit dans cet héritage musical du flamenco, en interprétant un répertoire traditionnel, avec une technique vocale travaillée depuis très jeune. La cantaora affectionne le répertoire traditionnel et l'interprète à merveille, montrant qu'elle assimile parfaitement les styles des grands maîtres du passé, comme Thomas et Pastora Pavon, Manuel Vallejo, Pepe Marchena, ou encore Gabriel Moreno. La chanteuse est connue pour sa grande connaissance des différents palis - les différents styles de flamenco - et sa virtuosité vocale que l'on entend bien dans ses mélismes - la modulation de plusieurs notes sur une même syllabe - que l'on retrouve énormément dans les chants andalous. Elle est aussi connue pour sa singularité vocale, car la chanteuse s'éloigne de ses pairs par sa voix qui elle, n'est pas typique de ce que l'on entend dans le flamenco : sa voix claire et limpide s'éloigne de l'esthétique doloriste qui colle au genre. Rocío Márquez développe sa propre manière de chanter, sa propre manière de ressentir le cante, avec beaucoup d'émotions.
Son engagement dans la tradition musicale du flamenco et sa singularité vocale l'ont poussées au devant de la scène. Mais c'est aussi sa technique vocale qui a fait d'elle une chanteuse très reconnue. Depuis toute petite elle baigne dans les musiques traditionnelles, qui façonnent sa voix. Elle débute les cours à 9 ans, et travaille, entre autre, les Fandangos - une musique populaire andalouse caractérisée par une accélération constante du tempo et ses mélismes complexes. Pour Rocío Márquez, le Fandangos fut une bonne école, car cette pratique vocale impose de rester sur le bon tempo qui ne cesse d'accélérer, dans une mesures 3/4, tout en introduisant beaucoup de mélismes. Les enfants qui ont une voix légère, comme elle, remplissent avec plus de mélismes encore, ce qui fait travailler l'agilité vocale. Elle continue son apprentissage à École internationale d'Art Flamenco à Séville, où elle apprend tout de cette musique qu'elle affectionne particulièrement. Sa dextérité et sa singularité vocale, ainsi que ses connaissances théoriques et historiques lui ont permis de devenir en quelques années une des voix les plus importantes du flamenco.
Chapitre 4. Un discours musical engagé
Rocío Márquez est très engagée dans la tradition du flamenco, et dans la mémoire des musiques populaires andalouse en général. C'est en la portant sur chaque scène qu'elle mène cet engagement, mais aussi à travers des actions plus poussées, comme le travail de mémoire qu'elle mène depuis des années. En 2010, elle est choisie pour défendre l'inscription du flamenco au patrimoine de l’humanité, et pour cette occasion elle se produit sur scène à Bruxelles. En 2011 et 2012, elle interprète en compagnie d'un historien le récital-conférence Flamenco et république, consacré au flamenco à l'époque de la IIe République espagnole puis de la guerre civile d'Espagne (de 1931 à 1939) et vise à déconstruire l'idée d'un flamenco au service du régime de Franco. Dans le cadre de ce projet, elle exhume des chants militants témoignant de l'erreur de cette idée.
La chanteuse est aussi très engagée sur le pan social. En juillet 2012, elle fait la une dans les journaux espagnols avec un concert organisé au fond d'un puits de charbon de la région de Léon, en compagnie de huit mineurs en grève depuis 45 jours contre la fermeture du site. On la voit chanter en bleu de travail, a capella. La musicienne fait aussi partie des artistes espagnols ayant réagi contre la politique d'austérité mené par le gouvernement de Mariano Rajoy, de 2011 à 2016, contre les suppressions de subventions culturelles et contre le passage de la TVA sur les spectacles de 7% à 21%. Lors d'une interview pour le journal Libération elle explique : « Le gouvernement actuel considère la culture comme un produit de luxe. Mais où va un pays privé de culture ? ».
Chapitre 5. La mémoire flamenca revisitée
Rocío Márquez s'inscrit dans la tradition musicale du flamenco, qu’elle revisite en les interprétant de manière plus contemporaine. Depuis son premier album Claridaad en 2012, la chanteuse ne cesse de réinventer la tradition. Son deuxième album paru en 2014, El Niño, estun hommage à Pepe Marchena, grand rénovateur du flamenco du XXe siècle. Comme lui elle puise dans le répertoire des chants populaires sud-américains, qu'elle interprète avec l'esprit du flamenco. Elle poursuit avec Firmamento en 2017, où se mêle batterie, piano et saxophone à sa voix flamenca. En 2018 paraît Diálogos de Viejos y Nuevos Sones, une collaboration avec Fahmi Alqhai, un grand joueur de viole de gambe et un très grand rénovateur de l'interprétation de la musique ancienne. Avec cet album, elle poursuit le chemin de la rénovation de la tradition, et en l'occurrence ici il y en deux : le baroque et le flamenco.
Avec son cinquième album Visto en el Jueves, elle fait un véritable travail de mémoire, et revisite les grandes figures de la musique espagnole et du flamenco. Pour ce projet, elle est accompagnée par le guitariste Juan Antonio Suarez et le percussionniste Agustin Diassera. Tout de suite l’album connaît un grand succès critique et commercial : il est nommé en 2020 meilleur album de musiques du monde en France par la Victoire du jazz, et reçoit le prix du meilleur album de flamenco en Espagne. Pour Rocío Márquez, le but de ce projet était de faire un exercice de mémoire en interprétant et en arrangeant un répertoire du flamenco traditionnel, un mixe de chansons, des cantes et de palis. Toutes les musiques de l'album, elles les a déniché elle-même dans le marché au puces « El jueves » de Séville, un travail de collectage de longue halène, qui prend forme dans cet album. Et comme toujours, la chanteuse a une approche artistique très libre de ces musiques traditionnelles, et les inscrit dans la temporalité contemporaine. Avec Visto en el Jueves, elle réinvente le répertoire populaire espagnol et les palis flamenco. Elle revisite la musique de Bambino, Rocio Jurados, Paco Ibañes, Concha Piquer, El Cabrero, Turronero, Pepe Marchena, José Menese ou Manuel Vallejo. Avec sa musique, Rocío Márquez explore, joue et se connecte à ses racines, comme avec Andalucia :
Dans son dernier album en date, Tercer Cielo, Rocío Márquez est accompagnée du producteur et DJ Bronquio. Cet album, c'est une rencontre entre la tradition et le moderne avec ce mélange de flamenco et d'électro, comme on peut l'entendre dans Merancia – Pregon :
Une émission proposée par Marie le Diraison.