Artiste européen·ne de la semaine

Dry Cleaning (LONDRES) - Artiste européen·ne de la semaine

Jody Evans Dry Cleaning (LONDRES) - Artiste européen·ne de la semaine
Jody Evans

Cette semaine, nous nous intéressons aux londoniens Dry Cleaning

  

Chapitre 1. Lavage à sec dans un garage

Pour Dry Cleaning, l'aventure débute en 2017, à Londres. Trois amis de longue date, tous musiciens dans des groupes de punk hardcore locaux, se retrouvent pour un karaoké. Et cette soirée musicale va leur inspirer une collaboration artistique. Tom Dowse à la guitare, Lewis Maynard à la basse et Nick Buxton à la batterie. Mais il leur manque une voix. Dowse réussit à convaincre son amie Florence Shaw, artiste et enseignante dans des écoles d'art, qu'il a rencontrée en 2010 au Royal College of Art. À ses débuts, en 2017, le groupe répète dans le garage de la mère de Maynard. Leur projet se concrétise en 2019 avec un premier single, Magic of Meghan, puis avec deux EP – parus la même année – Sweet Princess et Boundary Road Snacks and Drinks. Ils publient sur le label indépendant marseillais It's Ok, ils changent en 2020 pour le label pop rock britannique, 4AD - label emblématique du rock anglais depuis 1980, sur lequel ils publient en 2021 un premier album,New Long Leg, puis un deuxième en octobre 2022, Stumpwork. Très vite, Dry Cleaning gagne en renommée jusqu'à une forme de reconnaissance en 2022 : en Angleterre, avec une programmation pour le réputé festival londonien Meltdown 2022, où ils sont personnellement sélectionné par Grace Jones, figure iconique de la musique des années 80. Et puis au niveau mondial, avec une tournée dans 17 pays prévue pour les années 2022 et 2023. Aujourd’hui, Dry Cleaning est considéré comme un groupe faisant partie de la relève de la scène art-rock et post-punk britannique.

  

      

Chapitre 2. Une conteuse qui ne voulait pas devenir chanteuse

Dans l'effervescence de rock et de punk de la capitale anglaise, Dry Cleaning se singularise par une poésie particulière, amenée par la chanteuse du groupe, Florence Shaw. Sa voix calme et monotone se rapproche plus du spoken word que du chant, et nous embarque dans une atmosphère intimiste. Dry Cleaning s’inscrit dans le mouvement speak-sing, soit « parlé-chanté » en français. Une tendance qui englobe des groupes britanniques comme Yard Act, Wet Leg et Black Country New Road. Cette orientation artistique n'était pas initialement prévue. Mais lorsque Shaw a répété avec les trois musiciens pour la première fois, elle a débité ses textes de cette manière, en les racontant plutôt qu'en les chantant, et cela a tout de suite fonctionné. Le groupe se distingue par le songwriting que Florence Shaw décrit ainsi dans une interview aux Inrockuptibles en 2019 : « Je collecte des discours et les mots viennent de là. J’imagine des scènes entre les gens à partir de ça, ce qu’ils pourraient se dire. Parfois c’est inspiré de ce que j’ai entendu, de gens au pub, parfois ça vient plutôt de la façon qu’ils ont de parler dans les publicités, les tabloïds ou les quotidiens. Mon inspiration vient de textes courts et de l’évolution du langage au Royaume-Uni. ». Ainsi Stumpwork, le titre du deuxième album du groupe, désigne une technique de broderie en relief, et la chanson Gary Ashby est inspirée par une affichette signalant la perte d'une tortue domestique :

  

  

Chapitre 3. Un premier pas

Après deux années à composer, écrire et répéter dans un garage, Dry Cleaning présente son premier album, New Long Leg, paru sur le label britannique 4AD en avril 2021. Sur des airs blasés et sur un ton morose, mais pas lugubre pour autant, leurs textes présentent un regard sur la vie et ses choses quotidiennes, allant des drôleries aux tristesses qui nous habitent. Les 10 titres qui font l’album nous embarquent pour un voyage musical qui navigue entre le post-punk et le art-rock, avec une pointe de noisy. Le rock reste l’influence principale, porté par les riffs entêtants des guitares, que nous retrouvons par exemple dans Strong Feelings, John Wick et More Cleaning. Ils explorent aussi les sous-genres, comme dans Unsmart Lady avec son intro style noise rock qui s’oriente ensuite vers un stoner rock plus puissant. La recette miracle de Dry Cleaning, c’est aussi la spoken word calme et presque lasse de Florence Shaw, qui s’installe sur les riffs énergiques et les mélodies électriques parfois dissonantes de ses collègues musiciens. Avec New Long Leg, le groupe revisite les émotions avec un goût pour l'absurde et un ton sarcastique propre à l'humour britannique. Ainsi avec Strong Feelingsnous sommes loin des chansons d'amour pop rock habituelles : « Solitaire au-delà de la beauté / Tu veux juste qu'on t'aime / Je t'aime bien, reste [...] Juste un emo, collectionneur de trucs morts / Les choses viennent au cerveau / Trop de choses à demander / Alors ne demande pas » :

  

  

Et puis Leafy qui raconte des souvenirs amoureux avec cynisme. Dans Her Hippo la dérision sert à exprimer la colère, et des images loufoques décrivent l’anxiété dans More Big Birds : Piégé dans une tête / En contrôle dans la cuisine / Je dirige un navire serré / Pot à spatule et ramasse-miettes / Un endroit facile à essuyer / Un truc anti-graisse » :

  

  

Et ils atteignent leur apogée avec l’expérimental Every Day Carry. Une dernière ballade de 7minutes30, qui débute avec minimalisme et psychédélisme, et la voix langoureuse de Shaw. Et puis un pont instrumental, ou plutôt bruitiste, nous emmène ensuite vers une conclusion plus énergique :

  

  

Chapitre 4. "Travailler sans pression"

Avec leur premier album paru en 2021, Dry Cleaning annonce son succès, au son d’un post-punk au goût pour l'absurde, les expressions loufoques et le sarcasme. Et ils reviennent en octobre 2022 avec un deuxième album, Stumpwork, paru sur le label londonien 4AD et produit par le célèbre producteur John Parish. Ce deuxième album est sur la même ligne artistique, mais nous remarquons toutefois une ouverture à d’autres sonorités que le rock et le punk. Le groupe élargit sa palette sonore et puise aussi dans le funk, le psychédélisme et le jazz. C'est le cas par exemple pour Kwenchy Kups et son allure pop, et Hot Penny Day et son riff de basse inspiré de la funk : 

  

  

Et nous retrouvons la spoken word emblématique du groupe, même si elle glisse parfois légèrement vers le chant, nous emmenant dans une atmosphère plus moins morose. La chanteuse Florence Shaw tente de légères vocalises, avec Don’t Press Me ou Gary Ashby, mais elles restent toutefois trop discrètes pour que l'on quitte le domaine du spoken word :

  

  

Shaw préserve son rôle de conteuse et présente des textes percutants, toujours dans cette alliance de cynisme et de poésie. Le groupe a enregistré aux Rockfields Studios au Pays de Galles, et a disposé de beaucoup plus de temps en studio que pour le précédent album  (enregistré en deux semaines), ce qui a eu un impact le processus créatif de Stumpwork. Voici ce que le guitariste Dowse raconte de cet album : « Je pense qu'il y a plus d'espace. Quand vous faites le premier album, chaque prise que vous faites vous rend anxieux, comme si vous vous disiez "ça doit être la bonne". Quand vous faites le deuxième [album], vous réalisez qu'il n'est pas nécessaire que ce soit le bon. Vous faites juste votre truc et ensuite vous essayez quelque chose... Je suppose que vous vous mettez un peu moins de pression, et cela a fait une grande différence. ». Avec cet album Dry Cleaning nous emmène dans le lo-fi des années 90. Le guitariste Dowse par exemple explique s’être beaucoup inspiré de Stephen Malkmus du groupe de rock Pavement et avoir joué sur une guitare Jazzmaster, comme Sonic Youth, Dinosaur Jr et beaucoup d'autres groupes des nineties. Si le son change, Dry Cleaning préserve son écriture et sa manière de s'amuser avec les choses de la vie courante. Le groupe affirme son goût pour le loufoque et le décalé, et ce de manière presque provocatrice. Et c'est d'ailleurs ce qu'annonce la pochette du disque, sur laquelle on peut voir une savonnette rose recouverte de poils pubiens qui forment le titre de l’album. 

  

  

Chapitre 5. Humour et contestation

Dans ce dernier chapitre, je vous propose quelques illustrations de l'univers loufoque et sarcastique. Dry Cleaning s'inscrit de manière évidente dans la tradition de l’humour britannique, connu pour son recours à la noirceur et à l’absurde. Par exemple pour Magic of Meghan, premier single du groupe paru en 2019, Shaw met en parallèle la rupture amoureuse qu'elle vit et l’annonce des fiançailles de Meghan Markle et du prince Harry.Une manière de rire de la situation, bien à l'anglaise :

  

  

L'humour noir de Dry Cleaning sert aussi à porter une contestation, comme dans Conservative Hell, qui exprime avec désespoir les sentiments de toute une génération :

  

 

Voici ce que le guitariste Dowse raconte de Conservative Hell pour Time Magazine : « Scandale après scandale, les niveaux de corruption et de mensonge au sommet du gouvernement, et on a l'impression que c'est presque complètement incontesté. Je pense que ça a engourdi tout le monde. ». Un sentiment d'impuissance qui peut conduire au cynisme, comme dans Kwenchy Kups par exemple, qui raconte : « Les choses sont merdiques mais ça va aller. » :

  

  

Une émission proposée par Mari le Diraison.