La guerre des étoiles

Elon Musk : les pleins pouvoirs

Elon Musk : les pleins pouvoirs

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Le 5 novembre, les Américains ont élu Donald Trump. Ce 20 janvier, il a été inauguré nouveau président des Etats-Unis. Que peut-on dire de l’arrivée de Donald Trump –et d’Elon Musk pourrait-on dire– à la Maison Blanche pour l’Europe spatiale ?

Il y a pléthore à dire sur cette situation, qui d’ailleurs évolue très rapidement, avec l’imprévisibilité que l’on connaît de Trump et Musk et de leurs grandes déclarations qui sèment facilement la panique.

Le rapprochement d’Elon Musk et Donald Trump au cours de la campagne électorale, particulièrement au cours de 2024, a fait hausser les sourcils à des compétiteurs du secteur. Là, je pense notamment au fait que le nouvel administrateur de la NASA, nommé par Donald Trump, est Jared Isaacman, un homme d’affaires américain et astronaute privé. J’insiste sur le ‘privé’, car les astronautes sont généralement formés par l’agence spatiale de leurs pays, et exécutent des missions pour ces agences. Isaacman lui a effectué deux vols dans l’espace, le dernier en date étant la mission Polaris Down, dont on avait parlé dans notre premier épisode.

Quel est le lien entre Jared Isaacman, Musk, Donald Trump et l’Europe ?

Jared Issacman a effectué ses missions dans des capsules de SpaceX, des combinaisons SpaceX, lancées par des fusées SpaceX. C’est un proche d’Elon Musk, Musk est un proche de Donald Trump, et Musk a fait placer son ami à la tête de l’agence spatiale américaine. Outre le conflit d’intérêt évident que cela pourrait rapidement poser – on risque quand même de voir la NASA offrir des contrats à SpaceX sans même considérer d’autres entreprises, et pas forcément subtilement – c’est aussi le signal d’une privatisation du secteur spatial, notamment de l’accès à l’espace. Et ça, c’est un enjeu stratégique, souverain, que l’Europe n’a plus (pour l’instant). L’UE s’est déjà tournée vers SpaceX pour lancer des satellites Galileo, et les frontières étaient de plus en plus poreuses entre privé et public aux Etats-Unis. Par exemple, la NASA fait de plus en plus d’appels d’offres au privé, plutôt que de développer des solutions en interne. On pourrait citer l’appel pour le Mars Sample Return, auquel l’entreprise Rocket Lab a répondu rapidement, mais pour l’instant sans réponse. Mais là, on parle d’un brouillage des lignes total entre l’agence fédérale dédiée à la politique spatiale américaine, et une entreprise qui a déjà un quasi-monopole sur le marché des lanceurs lourds.

Quelles sont les répercussions possibles sur l’Europe d’une telle nomination ?

Elon Musk a une obsession depuis très longtemps, ne s’en est jamais caché, et a fondé SpaceX pour ça : il veut emmener les humains sur Mars, et il veut être le premier à le faire. Sauf que la priorité actuelle du programme spatial américain, ça n’est pas du tout Mars, c’est la Lune. Côté Mars, la NASA est en train d’abandonner le projet de ramener des échantillons martiens récoltés par le rover Perseverance sur place depuis plusieurs années, le MSR dont je vous parlais. Côté Lune, le projet de ramener les Américains sur la Lune tient de l’enjeu symbolique et stratégique, il faut y retourner avant la Chine, le nouveau concurrent venu remplacer l’URSS au XXI siècle ; et y installer une base lunaire, qui pourrait potentiellement servir de base de lancement, dans les décennies à venir, pour des missions d’exploration du système solaire, notamment Mars. C’est un projet intéressant puisque la Lune a une apesanteur bien moindre que la Terre, donc moins de gravité à laquelle arracher une fusée. Et l’ensemble de ce projet, le programme Artémis, l’Europe, ou plutôt l’ESA, y participe aussi, en collaboration avec la NASA.

Faut-il comprendre que les priorités d’Elon Musk vont prendre le pas sur celles d’Artémis, et que la NASA va laisser l’ESA sur le carreau ?

Un peu, oui. En tout cas, c’est un risque tout à fait réel, sérieux, et à ne pas exclure. Isaacman a été placé à la tête de la NASA par Elon Musk, et il n’y a aucune raison de penser que ce soit pour autre chose que de servir les intérêts d’Elon Musk. Donc il y a deux scénarios probables, du pire au moins pour l’Europe : Donald Trump pourrait très facilement recadrer l’enjeu de battre la Chine en disant que les Américains iront plutôt sur Mars ; ou Isaacman pourrait très bien ne pas annuler complètement le programme Artemis, mais dire que le SLS, le système de lancement d’Artemis supervisé par Boeing sous contrat de la NASA, est largement hors budget, et transférer le contrat à SpaceX. Dans ce deuxième cas de figure, par contre, est-ce que l’Europe gardera son rôle dans le programme, on peut se poser la question.

On l’avait vu avec Rosetta, la NASA a déjà abandonné une collaboration avec l’Europe en cours de projet. Mais Rosetta a vu le jour et été un succès, non ?

Rosetta a été revue à la baisse, mais a pu être menée à bien. Là, il n’y a aucune chance que l’ESA reprenne le programme Artemis à son compte. Déjà, c’est un programme américain sur lequel l’Europe a été invitée à collaborer ; deuxièmement, l’ESA n’a pas les moyens de faire un tel programme de A à Z, on parle de créer un système de lancement totalement, alors qu’il n’y a même pas de lanceur opérationnel pour l’instant en Europe ; et troisièmement, l’ESA a un intérêt à participer à quelques missions en échange de la conception et réalisation du module Orion pour Artemis, mais l’enjeu n’est pas du tout le même que pour les Etats-Unis. L’Europe, c’est une puissance économique, politique, mais qui ne prétend pas dominer militairement, stratégiquement ni symboliquement le domaine spatial.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.