Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour parler spatial et défense, deux secteurs souvent associés. Et c’est la défense des espaces aériens, un sujet éminemment d’actualité, qui nous intéresse.
Effectivement le mois de septembre a vu de nombreuses incursions d’avions et drones russes dans l’espace aérien européen. Et les réponses ont été plus ou moins réactives – par exemple les chasseurs italiens qui patrouillaient pour l’Estonie qui n’a pas d’avions n’ont pas fait preuve de la plus grande réactivité ; et la décision d’abattre les intrus après des mises en garde par radio n’a pas été systématique, ce qui dénote que l’Union européenne reste engoncée dans une peur d’envenimer une situation où la puissance voisine attaque son territoire et sa population de toute part.
Et le rôle de l’espace là-dedans, ce sont bien sûr les systèmes de détection, par radars et satellites, et les systèmes de contrôle des missiles à tirer pour abattre les menaces aériennes.
L’Europe ne possède pas de système de défense aérien de dernière génération, est-ce un projet en cours ?
Les Etats-Unis n’en possèdent pas non plus, c’est un vrai manque dans l’OTAN. Le seul pays au monde qui dispose d’un système de défense aérien holistique – qui détecte et qui abat – est Israël, qui a ce qui s’appelle le dôme de fer, Iron Dome en anglais.
L’administration Trump a lancé le projet d’équivalence américaine, le Golden Dome, qui n’en est qu’aux premières phases d’attribution des rôles et des contrats ; contrats très lucratifs d’ailleurs, ce qui va creuser un peu plus la dette abyssale américaine, mais qui pourrait avoir un effet dissuasif sur les Européens face aux factures –on parle d’un budget de départ de 25 milliards de dollars quand même, l’idéal serait de reprendre les idées dans les grandes lignes et d’être plus rationnels sur les dépenses.
Et d’ailleurs, côté européen, ces intrusions récentes pourraient être l’occasion de ressortir des cartons le projet du Sky Shield, littéralement le bouclier céleste, pour en faire –entre autres– un mur anti-drones, qui est la priorité soulevée par les pays qui ont vu des intrusions confirmées ou soupçonnées, je pense notamment au Danemark qui a vu ses avions cloués au sol en raison de la présence d’objets intrus dans l’espace aérien.
Comment construit-on un système de défense aérienne polyvalent ?
C’est un véritable casse-tête, parce qu’il y a une multiplication des menaces pour l’intégrité des espaces aériens. Il n’y a pas juste des missiles intercontinentaux, des avions pilotés, ni des drones, qui peuvent être très discrets et créer beaucoup de dommages ; il y a aussi des ballons-espions en haute altitude, et plus on monte en altitude, plus il est difficile de détecter et d’intervenir, et pareil pour la très basse altitude à ras du sol avec les drones.
C’est là que les architectures qui combinent des systèmes radars, satellites, l’intelligence artificielle entraînée à reconnaître certains types d’objets pour solliciter une vérification humaine sur les cas les plus probables d’intrusion, tout ça est essentiel. Les satellites de reconnaissance et de communication utilisés pour les systèmes de contrôles et de commande vont jouer un rôle essentiel pour la réactivité aux menaces et aux intrusions ; et la mise en orbite des satellites de la constellation européenne IRIS² sera cruciale pour l’architecture de défense aérienne européenne.
Et l’architecture “modèle” actuellement est celle israélienne, mais qui adopte beaucoup la méthode américaine de tirer d’abord et poser les questions après. Et c’est là que pour l’Europe il serait important de trouver un entre-deux avec la méthode actuelle qui est celle de poser des questions et d’escorter jusqu’à la sortie sans conséquences notoires.
C’est un projet titanesque, déployer des capteurs et des intercepteurs sur terre, en mer, dans l’espace pour protéger un continent.
Absolument, d’où l’intérêt de faire pot commun pour l’Union européenne ; d’où les coûts qui auront des répercussions sur les dépenses publiques pour plusieurs générations. Et c’est pour ça que les Etats-Unis écartent déjà certaines idées de départ, comme celle de placer des intercepteurs, donc probablement des missiles guidés, en orbite, pour une interception plus rapide.
Et dans l’entre-temps, il existe des systèmes de défense aérien et anti-drones qui ont fait leurs preuves à coût tellement bas qu’on pourrait comparer ça à du bricolage bon marché. Je pense notamment aux Sky Sentinels ukrainiennes, qui sont un assemblage à la Mac Giver de tourelles transportables avec des capteurs assistés par IA qui dégomment les drones russes sur le terrain. Et c’est le genre d’architecture qui n’est pas multimodale, qui n’est pas polyvalente ; mais qui coûte cent millions au lieu de dix milliards, qui est très rapide et facile à mettre en place, et qui constituerait un mur anti-drônes européen très honorable en attendant que tout le monde s’écharpe à Bruxelles sur quoi faire pour la suite.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.