Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire

Althea Gibson, championne de tennis

© Teamcolibri.org Althea Gibson, championne de tennis
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Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...

Vous connaissez Althea Gibson ?

C’est l’une des meilleures joueuses de tennis du monde.

Pionnière déterminée et talentueuse, elle fut la première femme noire à participer au tournoi de Forest Hill (futur US Open) – et à gagner.

Elle fut aussi la première femme noire à remporter un tournoi du Grand Chelem à Roland-Garros, en 1956.

En parvenant au sommet dans une Amérique profondément raciste (et sexiste), Althea Gibson ouvrit la voie à de nombreux·ses champion·nes.

1927, Silver, Caroline du Sud, Etats-Unis.

Althea Gibson est une enfant des champs de coton. Ses deux parents, métayers dans une ferme cotonnière, sont des esclaves modernes. Durement frappée par la Grande Dépression, la famille émigre à New-York peu de temps après sa naissance.

Dans les rues d’Harlem, un sport fait fureur : le paddle-tennis. A 12 ans, Althea est la championne de paddle-tennis de New York. Elle découvre le tennis et, à 17 ans, remporte son premier tournoi national de tennis. Rebelote l’année suivante. Elle remportera le titre 10 ans de suite.

Aux Etats-Unis, la ségrégation raciale légale règne. Althea Gibson ne peut pas s’inscrire aux compétitions majeures du pays. Le règlement n’est pas explicitement raciste mais, pour y accéder, il faut gagner des tournois organisés dans des clubs réservés aux personnes blanches. Il y a une ségrégation de fait sur le circuit des tournois de tennis.

Son but : le championnat national de Forest Hills, le futur US Open, un des 4 principaux tournois de tennis du monde.

C’est là qu’intervient Alice Marble, une championne blanche, 18 Grand Chelems au compteur. Elle envoie une lettre ouverte au vitriol à la fédération américaine de tennis :

« Si Althea Gibson représente un défi pour la génération actuelle de joueuses, il n’est que juste qu’elles relèvent ce défi. L’entrée des Noirs dans le tennis national est tout autant inévitable que cela est déjà arrivé dans le base-ball, le football ou dans la boxe. […] Je pense qu’il est temps de faire face aux faits. Si le tennis est un jeu pour les femmes et les hommes, je pense qu’il est temps que nous agissions un peu plus comme des gens décents et moins comme des moralisateurs hypocrites. »

A l’été 1950, Althea Gibson y participe finalement. Elle dispute son premier match contre la favorite, Louise Brough, une blonde californienne. Sous les insultes racistes qui tombent des tribunes, elle mène. C’est une grande première – et une brèche ouverte. Même si elle perd au second tour, sa carrière est lancée et sa participation au tournoi en pleine ségrégation raciale marque déjà l’Histoire. Elle le gagnera 7 ans plus tard.

Le 26 mai 1956, Althea Gibson, 29 ans, remporte le tournoi du Grand Chelem de Roland-Garros – en simple et en double. Une première mondiale.

L’année suivante, c’est Wimbledon. Là encore, elle fait impression : la jeune reine d’Angleterre Elisabeth II descend sur le terrain lui remettre le trophée et lui serrer la main (alors qu’on ne touche pas la Reine !). Quel chemin parcouru depuis la section réservée aux personnes noires dans le bus…

Althea Gibson est accueillie triomphalement à New York. Pourtant, chez elle, en Caroline du Sud, elle ne peut toujours pas boire aux mêmes fontaines que les Blanc·hes.

Au cours de sa carrière, Althea Gibson remporte 11 tournois du Grand Chelem (simple, double, double mixte). Elle est numéro une mondiale en 1957 et 1958 et est la première femme noire à faire la couverture du Time.

Depuis 1971, elle est membre de l’International Tennis Hall of Fame et entre au Panthéon des légendes du sport. Elégant pied de nez à l’interdiction d’utiliser les vestiaires durant certaines compétitions.

« Althea a été pionnière pour tout le tennis, pas seulement le tennis féminin. » Serena Williams