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Le mur anti-drone : un catalyseur industriel dont la Défense européenne avait besoin, pour s'unir ?

Image de Pexels sur Pixabay Le mur anti-drone : un catalyseur industriel dont la Défense européenne avait besoin, pour s'unir ?
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Euronomics sur euradio est une émission du Joint European Disruptive Initiative (JEDI), think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est Senior Fellow.

Victor Warhem, vous êtes Manager chez Datenna, entreprise fournissant une plateforme d’intelligence économique sur la Chine. Vous allez nous parler aujourd’hui de l’un de vos sujets favoris : l’Europe de la Défense !

 Oui, cette semaine, je souhaite revenir sur le Conseil européen informel qui s’est tenu à Copenhague mercredi dernier, à un moment fort opportun compte tenu des multiples incursions de drones et d’avions russes dans l’espace aérien européen que ce soit en Pologne, en Estonie, en Roumanie, au Danemark, ou en Allemagne.

De quoi a-t-il été question précisément ?

Ainsi, avec la “guerre hybride” menée par la Russie – c'est à dire toujours à la limite de l’agression ouverte - en Europe ces dernières semaines, il a essentiellement été question de la réponse que l’Union européenne pourrait apporter aux incartades russes sur le territoire. Les 27 ont donc notamment débattu de la proposition de la Commission de mettre au point un “mur anti-drone” le long de la frontière orientale de l’Union européenne.

Ce mur qui s’étendrait de la mer des Barents au nord de la péninsule scandinave jusqu’au delta du Danube, soit environ 4000 km, aurait pour objectifs principaux de détecter, suivre, identifier et neutraliser tout drone ou essaim de drones avant qu’il n’atteigne l’espace aérien européen.

De quelles technologies aurait-on besoin pour mettre sur pied un projet d’une telle ampleur ?

C’est là où cela devient vraiment intéressant, Laurence. Ce mur anti-drone exigerait à la fois un perfectionnement des technologies existantes et un passage industriel à l’échelle dans plusieurs domaines.

Tout d’abord, il faudra disposer d’une infrastructure digitale – un cloud donc – souverain pour gérer les données et les communications générées par les instruments nécessaires au fonctionnement de ce “mur”. Les outils de détection et de tracking, incluant radars et capteurs acoustiques notamment, seraient le fruit d’un développement conjoint au sein de la BITDE, avec potentiellement de belles coopérations entre géants industriels comme les Suédois de SAAB et des startups ingénieuses. La neutralisation “soft” (brouillage) et “hard” (intercepteurs de drones sous forme de missiles) serait développée également par de probables alliances européennes impliquant par exemple Rheinmetall, Airbus, et un écosystème très vivant de startups dont la technologie connait un développement accéléré en Ukraine.

Dans ce cadre, l’Ukraine, très réticente à exporter sa technologie anti-drone pour préserver sa BITD naissante, passerait un accord de transfert de technologie pour massifier la production nécessaire à ce mur anti-drone.

Et comment ce mur serait financé ?

Pour le moment rien n’est décidé évidemment. Mais les instruments disponibles s’accumulent désormais avec :

  • Tout d’abord, le prêt SAFE de 150 milliards d’euros qui servira essentiellement à servir le front ukrainien avec des armes européennes,
  • Mais aussi le European Defense Industrial Program encore en négociation, qui devrait apporter au moins 1,2 milliards d’euros de financement de capacités de production industrielle pour les scale-ups innovantes dès 2026, 
  • Ou encore les prêts de la Banque européenne d’investissement qui accordent depuis 2025 3,5% de son portefeuille – soit 3,5 milliards d’euros rien que pour 2ß25 - pour financer les entreprises de la défense. 
  • On peut ajouter à cela les financements d’innovation de défense ou de projets dual-use comme les programmes du Conseil européen de l’innovation, Accelerator notamment, ou le nouveau programme européo-ukrainien, BraveTech EU, inspiré de l’accélérateur-investisseur public ukrainien Brave1.

L’Europe semble en effet bien plus prête qu’il y a quelques années à se défendre et à permettre aux Ukrainiens de le faire !

Certes ! Comme je l’ai répété ici plusieurs fois, nous pouvons essentiellement remercier Donald Trump qui continue de pousser les Européens à se défendre eux-mêmes.

Cela ne signifie pas que tous les problèmes sont résolus, néanmoins pour lancer ce projet.

Qu’entendez-vous par là ?

La France et l’Allemagne expriment pour l’heure des réticences.

La France, tout d’abord, estime qu’il faut davantage focaliser les énergies et financements sur un système d’alerte avancée et une capacité de frappe à longue portée. L’armée françaises est en effet assez peu friande de projets type “ligne Maginot” pour des raisons que l’on comprend aisément. Par ailleurs, la France rejoint l’Italie et la Grèce sur le fait que s’il devait y avoir un dispositif de protection européen de ce type, il devrait inclure le flanc sud de l’Union, c’est à dire la Méditerranée, voire le Sahel.

Pour les Allemands, le problème est moins stratégique qu’industriel, dans la mesure où il est question de mettre sur pied ce mur dans les 18 prochains mois environ, alors que l’industrie allemande peine à suivre la cadence de production imposée par le conflit en Ukraine.

Enfin, les deux pays refusent de voir des ressources qui auraient pu être allouées à leur programmes d’armement - notamment communs - se disperser sur un projet de cette ampleur.

Ce projet verra-t-il donc le jour ?

Oui, Laurence, un projet de ce type verra le jour, c’est une certitude.

Il convient surtout aujourd’hui de bien le définir, d’éviter les redondances avec un Sky Shield européen, et de répartir l’innovation et la production.

En réalité, ce projet, comme la participation accrue des Européens en Ukraine, que j’ai observée de mes propres yeux à Lviv il y a quelques semaines, devrait nous servir à mettre sur pied une toujours plus indispensable base industrielle et technologique de défense pleinement européenne.

Il fait de moins en moins sens pour les Européens de chercher à préserver leurs intérêts industriels nationaux en la matière.

Je sens ainsi que nous sommes à l’aube de grands changements dans l’organisation du secteur de la défense en Europe.

Merci Victor Warhem, et à la semaine prochaine !

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.