Chaque semaine, retrouvez Les histoires d'Europe de Quentin Dickinson sur Euradio.
Cette semaine, c’est plutôt une petite promenade européenne à travers les siècles que vous nous proposez…
Vous aurez peut-être remarqué que, dans les pays du Nord de l’Europe, le siège principal du gouvernement est plutôt modeste et d’apparence assez peu prestigieuse, en total contraste avec la Chancellerie fédérale à BERLIN ou les principaux ministères à PARIS et à LONDRES.
Par exemple, c’est le cas – bien connu depuis la série télévisée Borgen – du centre du pouvoir à STOCKHOLM.
Mais c’est d’un autre pays, un peu plus au sud, que je veux vous entretenir cette semaine.
Alors, de quel pays s’agit-il ?...
Il s’agit des Pays-Bas. A La HAYE, le Premier ministre dispose d’un bureau en ville et d’une résidence officielle à l’extérieur, en direction de la mer.
Le bureau est logé dans une petite tourelle octogonale de deux niveaux nobles et de combles aménagées, édifiée au XIVe siècle, et située les pieds dans l’eau au bord d’un petit lac urbain, le Binnenhof. Surmonté de sa toiture en pointe, le Torentje (Petite Tour en néerlandais) accueille une salle de réunion au rez-de-chaussée et le bureau du chef du gouvernement au premier.
C’est donc aux antipodes de l’idée que l’on peut se faire d’un lieu de pouvoir. Mais c’est sur la résidence officielle que nous allons nous pencher, pour une raison bien précise.
Et quelle est-elle, cette raison ?...
J’y viens. Mais évacuons d’abord l’aspect du bâtiment : dépourvues du moindre charme, les deux petites tours reliées par une aile centrale basse représentent ce qu’on construisait de pire au XVIIe siècle en Hollande. Seul le vaste jardin mérite le détour. D’ailleurs, seule une poignée de Premiers ministres y ont effectivement logé avec leur famille, le dernier il y a plus de quarante ans.
A l’origine, le domaine s’appelait Sorghvliet, comprenez L’Envol des soucis – mais ce n’est pas sous ce nom qu’il est connu depuis plusieurs siècles. Pour tous les Néerlandais, il s’agit du Catshuis.
Catshuis ? On devine que cela doit signifier la Maison du chat, non ?...
Oui et non : votre traduction est la bonne, mais en fait Cats est le nom de famille de celui qui a fait construire le bâtiment, Jacob CATS.
Et qui était ce personnage ?...
C’était le rejeton d’une famille de petits notables provinciaux en Zélande. Le jeune Jacob fut instruit dans un collège local, dont l’enseignement de base était le latin, langue de l’Église mais aussi langue qui permettait de voyager partout en Europe et de communiquer aisément avec ses pairs, nantis et cultivés.
Notre homme en profite : après l’Université de LEYDE, il quitte la Hollande pour parfaire ses études à ORLÉANS, et s’installe ensuite comme avocat à MIDDELBOURG, chef-lieu de sa Zélande natale. Sa spécialité : le droit commercial encadrant les prises de guerre des corsaires, particulièrement rémunérateur, qui aura permis à CATS d’amasser une confortable fortune. En 1605, il épouse une héritière originaire d’ANVERS.
Tout va pour le mieux pour lui, donc ?...
Effectivement, et en dépit de graves inondations dans sa province et de la guerre, dite des Quatre-vingts ans, qui opposaient la République des Sept-Provinces au Royaume d’Espagne, régnant sur un vaste territoire, correspondant à peu près au Benelux actuel, pour le compte des Habsbourg.
Logiquement, il est attiré par la politique. Le voilà nommé Pensionnaire municipal, dénomination équivalente à conseiller, puis Pensionnaire au Conseil de Hollande et enfin Conservateur du Grand-Sceau.
Fin de son parcours ?...
Non. Il abandonne subitement ses différents mandats, se retire dans ses terres haguenoises, et se met à écrire des contes et des poésies, lesquelles lui assurent à ce jour une considérable notoriété, en particulier auprès des enfants. Au XIXe siècle, dans les couches les plus défavorisées de la société, on ne possédait que deux livres : la Bible et un ouvrage de CATS.
Un éditeur avait proposé de publier ses œuvres, réécrites en néerlandais moderne – le tollé fut général, de sorte qu’aujourd’hui encore, ses œuvres sont toujours vendues dans la langue de cour du XVIIe siècle.
Jacob CATS, Vader Cats, le Père Cats, meurt à 83 ans, ce qui, en soi, était déjà un exploit pour l’époque.
Pour de nombreux Néerlandais, il reste, parmi les conteurs, l’équivalent d’Homère.
Un entretien réalisé par Laurent Pététin.