La guerre des étoiles

La relève de l'ISS

© ESA La relève de l'ISS
© ESA

Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.

Nous nous retrouvons pour un épisode consacré à la relève de la station spatiale internationale, qui arrive au terme de son exploitation en orbite terrestre. Quelles sont les solutions envisagées pour lui succéder ?

A priori pas de solutions 100% publiques, ce qui veut dire que l’ère de la présence continue humaine occidentale en orbite terrestre s’achève. La station spatiale chinoise est en service et accueille des taïkonautes, mais pour les astronautes occidentaux, il faudra se tourner vers des partenariats publics-privés, voire du tout-privé.

Nous avons consacré plusieurs chroniques aux avancées technologiques, médicales, et scientifiques en général que l’ISS a apporté à l’humanité. Est-ce que c’est la fin de la recherche aussi ?

On peut espérer que non, parce que les recherches médicales et industrielles en orbite, même si elles demandent de gros investissements de départ en construisant des modules d’habitation et des laboratoires, puis en les mettant en orbite, serait rentable pour des entreprises. Les laboratoires pharmaceutiques ont intérêt à mener des expériences sur des cellules cancéreuses en apesanteur, les fabricants de microprocesseurs et de fibres optiques ont intérêt à synthétiser des matériaux en orbite. Par contre, les bénéfices seront sans doute moins directs, puisque ces entreprises commercialiseront leurs innovations, plutôt que de les mettre à disposition du bien commun.

On se doute bien que le désengagement des agences spatiales est pour des questions d’argent, mais comment garderont-elles un accès aux laboratoires orbitaux sans être des investisseurs ?

L’ESA et la NASA se sont positionnées dans un rôle de commande, de soutien financier et de savoir-faire, pour pouvoir bénéficier après le désorbitage de l’ISS en 2030 d’une poursuite d’activités en orbite. Par exemple, l’ESA a signé un accord de principe avec Blue Origin, qui a annoncé travailler sur le développement d’une station orbitale, et Thales Alenia Space, un géant de la défense et du spatial européen. Thales a déjà une longueur d’avance sur la construction d’une station spatiale, puisqu’ils sont un acteur majeur de la Gateway lunaire, dont les modules pourraient être recyclés en orbite terrestre plutôt que lunaire si le programme Artémis est mis au régime. Et dans cet accord, il y a l’idée que l’ESA, en finançant et en facilitant la construction d’une station spatiale en orbite sous la casquette nominale de Blue Origin allié à Thales, aurait un accès privilégié pour y héberger ses astronautes et ses expériences.

Et du côté américain ?

La concentration d’entreprises du new space aux Etats-Unis fait qu’il y a de nombreux volontaires pour prendre la relève. La NASA a fait des appels à projets en septembre 2025, et a conclu des accords pour étudier et financer des projets, notamment ceux de Blue Origin, d’Axiom Space, qui est un partenaire de la NASA sur le programme Artemis, et Starlab Space. Donc on a le même type d’initiative, celui de financer mais pas d’opérer directement, du côté américain. Sauf que cette phase 1 devait être succédée d’une phase 2 pour fixer un budget avec les entreprises retenues en phase 1. Et que tout cela, faute notamment de visibilité en raison des budgets bloqués, diminués, de l’absence d’un administrateur de la NASA confirmé par le Congrès, fait que c’est en suspens.

Et les objectifs sont revus à la baisse aussi, c’est-à-dire que les critères opérationnels pour une occupation permanente, pour le matériel disponible, n’ont plus besoin d’être respectés pour candidater ; et la NASA s’oriente vers un modèle d’assistance technique dans les phases de conception et de développement, sans soutien financier.

Quelles sont les conséquences, voire les risques, de tels reculs ?

Déjà ça veut dire que dans cinq ans, l’ISS ne sera plus opérationnelle, et ça semble extrêmement peu probable que dans un laps de temps aussi court une nouvelle station spatiale ait été conçue, fabriquée et placée en orbite. Donc il va y avoir, pour la première fois depuis très longtemps, une interruption de la présence humaine occidentale en orbite. Ce qui va donner un avantage supplémentaire à la Chine, seul pays à avoir une station spatiale opérationnelle post-2030.

Les coupes budgétaires et l’incertitude latente côté américain sont un facteur énorme, qui pousse la NASA à interrompre des programmes, à hésiter à investir dans d’autres, provoque des retards, mais aussi une incertitude dans la base industrielle et commerciale, parce que beaucoup d’entreprises dépendent des contrats publics pour fonctionner. On va potentiellement assister dans les trois à dix prochaines années à la fermeture et aux rachats d’entreprises du new space américain.

Et un constat s’impose : c’est que l’ESA semble beaucoup plus entreprenante et fiable dans ce contexte. Donc un monde où les astronautes européens ont un accès plus privilégié à l’orbite que les astronautes américains n’est pas tout à fait à exclure. Ce qui aurait semblé complètement absurde il y a encore deux ans.

Le mot de la fin, que faut-il retenir de ces projets de relève de l’ISS ?

Deux choses se dégagent : d’une part, malgré le refus des partenaires historiques de l’ISS (la Russie, les Etats-Unis, le Canada, l’Europe, le Japon) de reconduire leur coopération pour assembler une nouvelle station spatiale internationale en orbite, il n’y a pas de perte d’intérêt pour la présence humaine en orbite terrestre. Donc les agences explorent activement un moyen de poursuivre leur présence et leurs expériences, à coût réduit.

D’autre part, on peut observer une tendance à la privatisation et à la commercialisation de l’accès à l’orbite. C’était déjà le cas avec les navettes de Space X qui sont venues se substituer à celles de Roscosmos pour transporter les astronautes vers et depuis l’ISS. Donc on assiste à la fin de l’accès au spatial comme apanage des Etats et des agences spatiales, les acteurs sont maintenant résolument non-étatiques et beaucoup de leurs clients également, notamment dans le domaine des communications. Et ça signifie qu’on entre dans une nouvelle ère capitaliste de l’exploitation de l’espace, où on va voir des entreprises du spatial se consolider, potentiellement en dehors-même des programmes gouvernementaux et des subventions qui y sont associées.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.