Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Nous nous retrouvons pour un épisode histoire, consacré aux missions habitées occidentales en orbite et sur la Lune.
Occidentales, et surtout américaines, mais les agences spatiales canadienne et européenne ont quand même joué un rôle. Et puis la course à l’espace ayant été motivée par la rivalité avec l’URSS pendant la Guerre froide, puis aujourd’hui avec la Chine, c’est presque comme si ces pays-là aussi avaient eu leur rôle à jouer dans les programmes emblématiques de la NASA.
Combien de programmes de missions habitées y a-t-il eu, et quand ont-ils commencé ?
Il y a quatre grands programmes, le premier a commencé en 1958, quelques jours seulement après la création de la NASA, et c’est le programme Mercury. Officiellement il a duré cinq ans, mais les missions habitées ont eu lieu sur les deux dernières années, il y en a eu six ; et c’est quand même un Soviétique qui a été le premier homme dans l’espace, en 1961.
Et c’est ce premier programme qui a popularisé et surtout concrétisé un terme que l’on utilise couramment aujourd’hui, celui d’astronaute !
Comment ça ?
“Astronaute” est la combinaison des mots espace et voyage. Et les termes de ‘cosmonautes’, les astronautes russes ; et de ‘taïkonautes’, les astronautes chinois, sont inspirés de ce terme-ci. Les soviétiques ont utilisé le mot ‘cosmos’ pour l’espace, et les Chinois ‘taikong’, le mot chinois pour l’espace, et encore ce suffixe grec -naut, qui signifie voyageur.
Qui sont ces voyageurs de l’espace, justement ?
Les premiers étaient surtout des pilotes-testeurs de l’armée, parce qu’ils répondent forcément à des critères essentiels pour être astronaute : ils sont en excellente condition physique –piloter un avion de chasse est très violent physiquement ; ils ont d’excellents réflexes –et les premières navettes, capsules habitées avaient besoin d’un pilote chevronné ; et ils sont formés en ingénierie –là encore, mieux vaut avoir des bases solides de bricolage quand on est seuls à des kilomètres en orbite terrestre.
Au fil des missions et des programmes, quand le recrutement et la formation pouvaient être plus longs, les profils se sont diversifiés –et même ouverts aux femmes, même si là encore la première femme dans l’espace était soviétique, en 1963. Le combo ingénierie-forme physique reste quand même, y compris aujourd’hui, un profil standard.
Si l’objectif du programme Mercury était d’envoyer en premiers un homme dans l’espace, pourquoi n’a-t-il pas été interrompu ?
Parce que ce n’était pas un objectif unique ; poursuivre les missions habitées permettait d’observer comment le corps humain supportait des périodes prolongées dans l’espace, de tester le matériel… Et puis qu’à cela ne tienne, si les Etats-Unis n’étaient pas les premiers en orbite, ils pouvaient être les premiers sur la Lune ! Surtout que les enjeux étaient très liés au militaire : sur les systèmes de propulsion, et également sur l’occupation de l’espace orbital et lunaire –on retrouve toujours ces enjeux aujourd’hui, d’ailleurs. Et à une époque de tensions extrêmes avec l’URSS, des avancées scientifiques majeures tous les mois… rien ne semblait impossible, y compris militariser l’orbite, et pourquoi pas placer un canon laser géant sur la Lune. Le programme Mercury a vraiment été un moment charnière où les nouvelles de science-fiction sont devenues des possibilités, voire une réalité –d’où le fait que ce soit un genre toujours utilisé aujourd’hui en prospective par les armées pour anticiper de nouvelles menaces.
La suite logique au programme Mercury a donc été le célèbre programme Apollo ?
Il y a d’abord eu un programme d’entre-deux, qui d’ailleurs a été conçu comme tel : Gemini. Il y a quand même eu dix missions habitées sur cinq ans, de 1961 à 66, presque autant que Apollo ! L’objectif du programme était cette fois de tester un équipement dans le but d’aller sur la Lune –et d’en revenir ; de tester les combinaisons, et d’entraîner les astronautes à des amarrages et des sorties extra-véhiculaires en orbite. C’est finalement au programme Gemini qu’on doit les missions scientifiques de mise en service et de réparation d’Hubble, l’ISS… Ça permettait aussi, il faut être plus terre-à-terre, de prouver la faisabilité d’un programme qui coûterait incroyablement cher au contribuable américain, rien que Gemini a coûté 35 milliards de dollars d’aujourd’hui !
C’est effectivement énorme pour un programme tombé dans l’oubli.
Oui, d’ailleurs le coût de Gemini est souvent inclus dans celui du programme Apollo, qui était de presque 300 milliards de dollars actuels. Ce sont des sommes qu’il est inimaginable de voir déboursées aujourd’hui, alors que Mercury, Gemini et Apollo ont permis un saut technologique incommensurable en une décennie ; que le succès d’Apollo a permis un rayonnement des Etats-Unis dans le monde et dans l’histoire ; et qu’à l’échelle domestique du pays, c’est venu tempérer et distraire de la contestation très forte de la population contre le pouvoir corrompu de Nixon, la guerre du Vietnam et la ségrégation.
C’est vrai que le contexte historique du programme Apollo est riche d’atrocités…
Un homme a marché sur la Lune un an après l’assassinat de Martin Luther King Jr., vu comme ça, c’est un héritage doux-amer. Et c’est un héritage encore plus ambivalent lorsqu’on se rappelle que la suite du programme Apollo, le retour des Américains sur la Lune avec le programme Artémis, a été lancé par Donald Trump lors de son premier mandat !
Le même Donald Trump qui a cherché à réduire le budget de la NASA à néant récemment.
Absolument. Artémis ne sera peut-être plus que l’ombre du programme d’origine dans les années à venir, et accuse déjà des retards importants.
Quels sont les objectifs d’origine du programme ?
Ramener les Américains sur la Lune, c’est d’ailleurs pour ça que le programme porte le nom de la sœur d’Apollon dans la mythologie grecque : Artémis. C’est le programme héritier d’Apollo ; et la rivalité américaine dans une course à la Lune aussi est reproduit quasiment à l’identique, cette fois avec la Chine. D’ailleurs, c’est un objectif affiché d’Artémis que de reposer un pied américain sur la Lune avant les Chinois, comme les Etats-Unis avaient réussi à le faire avant les Soviétiques. Sauf que cette fois-ci, entre les retards, la multiplication des projets annexes ambitieux et dévolus à des entreprises du privé ; la NASA n’a plus la main directement sur les éléments du programme, et la Chine progresse bien plus vite que les Américains vers leur objectif lunaire de 2030.
Ce serait un revirement intéressant mais aussi très décevant pour un programme qui s’inscrit dans la lignée des emblématiques Mercury, Gemini et Apollo, et dont l’ESA doit, normalement, largement bénéficier aussi grâce à sa participation.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.