Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Iris, on se retrouve aujourd’hui pour parler du télescope spatial le plus emblématique de l’histoire, qui a déjà plus de trente ans et près de deux millions d’observations au compteur : le télescope Hubble.
Un symbole de l’observation de l’espace et avec l’accélérateur de particules LHC, Hubble est probablement l’objet scientifique le mieux connu du grand public. Il est le fruit de projets de placer un observatoire astronomique en orbite qui remonte loin, très loin dans l’histoire de la physique et de l’astronomie. Et c’est une structure américaine, qui a bénéficié du concours de l’ESA.
On a des observatoires sur Terre, pourquoi en mettre dans l’espace aussi ?
Parce qu’en orbite terrestre, il y a moins, voire plus du tout, de pollution visuelle. Les lumières de l’activité humaine et les déformations visuelles de l’atmosphère terrestre ne viennent plus perturber l’observation des objets célestes. Comme ça, Hubble peut observer dans trois champs de vision physique : le domaine visible, celui que notre oeil détecte aussi, grâce au voyage de la lumière ; le domaine infrarouge, qui permet d’observer les émissions de chaleur des corps célestes, et donc de détecter et d’observer des étoiles, des nébuleuses par exemple ; et le domaine ultraviolet, qui permet de récupérer des données sur la composition chimique et la densité du champ d’observation, par exemple on peut connaître la composition de jeunes étoiles, savoir à quelle température elles brûlent les gazs qui les composent, et l’on peut savoir quels sont ces gazs.
Nous avons déjà parlé dans La guerre des étoiles de l’assemblage en orbite de la station spatiale internationale ; est-ce qu’il a fallu assembler Hubble aussi ?
Il n’y a pas eu besoin de l’assembler en orbite, c’est une structure qui a été conçue suffisamment petite pour être placée dans la soute de la navette Discovery, qui l’a placée en orbite d’un coup, à 600 km de la surface de la Terre.
Par contre, il a fallu assembler ses multiples instruments d’observations, ses miroirs à la pointe de la technologie, à l’époque, et ses panneaux solaires, tout ça sur Terre. Les différents éléments d’Hubble ont été sous-traités à des agences spatiales différentes et des entreprises différentes, américaines ou européennes.
Et Hubble a dès le départ été conçu comme un satellite de long-terme, donc il nécessitait des opérations de maintenance, en orbite. Il y a eu cinq missions de maintenance au cours de ses trente-cinq ans de carrière. A titre de comparaison, un satellite de communication commerciale en orbite basse a une espérance de vie de deux, trois, quatre ans ; et un satellite en orbite plus lointaine, appelée géostationnaire, d’entre sept et dix ans.
Quel est le secret de la longévité d’Hubble ?
Il était toujours prévu qu’Hubble ait une longue vie, et qu’il bénéficie d’opérations de maintenance. Et donc, lors de sa conception et de sa construction, des systèmes de redondance ont été mis en place. C’est-à-dire qu’au lieu d’avoir deux instruments identiques, on va en avoir quatre, même six dans le cas d’Hubble ; au lieu d’avoir un terminal pour envoyer les données, on va en avoir deux… Les redondances ont permis de continuer à utiliser Hubble pendant aussi longtemps, parce que les instruments qui tombaient en panne n’avaient pas besoin d’être remplacés immédiatement, voire pas du tout. Et les instruments sont placés dans une sorte de roue, qui les rend très faciles d’accès et à remplacer par de nouveaux plus performants.
Hubble était très attendu par la communauté scientifique, a-t-il répondu aux espoirs qui portait sur lui ?
Pas immédiatement. Il y avait plein de problèmes mineurs et une déformation des panneaux solaires, mais qui ont empêché sa mise en opération immédiate. Et son miroir avait été mal poli, ce qui le rendait aveugle, il a fallu au sol modifier plein de paramètres pour s’adapter à ces défauts, et prévoir beaucoup plus rapidement que prévu une mission de maintenance, en 1993, soit seulement trois ans après sa mise en orbite, pour remplacer les panneaux et corriger le défaut du miroir.
La NASA avait été très critiquée et moquée pour ces défauts, non ?
Oui, Hubble était hors budget, avait subi différents retards de mise en orbite, notamment à cause de l’accident de la navette Challenger en 1986. En y ajoutant ces défauts, c’était la goutte de trop. Mais les défauts du miroir et la mission de maintenance ont paradoxalement permis des progrès, avec l’instrument pour corriger le miroir, dont la technologie a amélioré les appareils de mammographie, et les soucis rencontrés par les astronautes pendant leurs sorties de la navette ont transformé des procédures et des outils pour d’autres missions de la NASA. Et puis à l’issue de cette première mission, la qualité des observations faites par Hubble a tout de suite été exceptionnelle et permis de faire progresser la science !
Vous disiez que l’ESA avait participé à la construction d’Hubble, quel a été son rôle?
L’ESA a financé Hubble à hauteur de 15%, ce qui lui donnait droit à une utilisation du temps d’observation de 15%. Et ils ont fourni un instrument et les panneaux solaires, les fameux. Des astronautes européens ont aussi participé aux missions de maintenance.
Et grâce aux observations conjointes de la NASA et de l’ESA, Hubble a permis de montrer que l’expansion de l’univers s’accélère, un phénomène qui porte son nom, la constante d’Hubble, d’après l’astrophysicien qui a donné son nom au satellite, et le satellite lui-même. La boucle a été bouclée !
Quand a eu lieu la dernière mission de maintenance sur Hubble ?
Elle devait avoir lieu en 2004, mais a été reportée d’abord à 2006 en raison du deuxième accident de la navette spatiale en 2003, Columbia cette fois. Comme en 86, la navette a été désintégrée, et tout son équipage est décédé. Puis elle a été reportée à 2008, et a finalement eu lieu en 2009, où des instruments ont été remplacés pour lui assurer encore de belles années. Au final, les cinq missions ont eu lieu sur les vingt premières années de vie d’Hubble, et ça fait quinze ans qu’il fonctionne seul !
Le mot de la fin, que retenir de l’aventure d’Hubble ?
Hubble, c’est la concrétisation du rêve des astronomes, parce qu’il a permis d’observer l’univers depuis l’espace, et de fournir de la matière à travailler pour plus de quatre mille scientifiques en simultané.
Les problèmes techniques et d’instruments qu’il a rencontrés ont été des leçons précieuses pour ses successeurs, au premier rang desquels James-Webb, et pour la station spatiale internationale et les sorties extravéhiculaires qui l’ont suivi.
Et Hubble a permis de populariser l’astronomie et l’astrophysique, en fournissant des clichés incroyables qui sont recolorisés par les agences spatiales, et ont ému et attiré l’intérêt du grand public.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.