Tous les mercredis, écoutez Iris Herbelot discuter d'un sujet du secteur spatial. Tantôt sujet d'actualité ou bien sujet d'histoire, découvrez les enjeux du programme européen Hermès, de la nouvelle Ariane 6, ou encore de la place de l'Europe dans le programme Artémis. Ici, nous parlons des enjeux stratégiques pour notre continent d'utiliser l'espace pour découvrir, innover, et se défendre.
Nous nous retrouvons aujourd’hui pour le premier volet d’un vaste sujet en deux parties : l’exploitation des ressources spatiales. Tout d’abord, on parlait la semaine dernière du retour tant attendu de l’Europe dans la course à l’espace, n’est-ce pas aller vite en besogne que de parler d’exploitation des ressources ?
C’est vrai que beaucoup des projets actuels d’exploitation des ressources spatiales, et aujourd’hui nous allons surtout parler des ressources minières, sont des projets prospectifs, qui s’inscrivent dans une vision de long terme. Mais c’est aussi pour ça que c’est intéressant pour les entreprises et États européens d’y réfléchir dès maintenant, ce sont des technologies à développer pour rendre le minage d'astéroïdes possible qui vont prendre énormément de temps, d’argent, et qu’anticiper permettra de ne pas être à la traîne.
Quel est l’intérêt d’aller miner des ressources à des milliers de kilomètres de notre planète, quand on ne manque pas de minéraux sur Terre ?
C’est sûr qu’entre les satellites d’observation de la Terre qui permettent d’étudier les endroits riches en ressources, la fonte des glaces, et les progrès technologiques, on a des options terrestres. Mais miner les ressources sur Terre, c’est une source de pollution énorme, qui est à la source de la fonte des glaces, du dérèglement climatique, de l’empoisonnement de nos sols, de l’air qu’on respire. Donc de délocaliser ça là où personne ne vit et ne peut en souffrir, c’est déjà un attrait certain. Après l’humanisme et l’écologie ne sont pas les motivations des entreprises intéressées par de tels projets, on ne va pas se mentir. L’intérêt est avant tout financier, parce qu’il y a des métaux, des minerais que l’on trouve sur Terre en petites quantités qui peuvent potentiellement être surabondants dans l’espace. Et il y a des métaux et minerais que l’on ne trouve pas sur Terre qui peuvent potentiellement exister, même exister en abondance, dans l’espace. Et là, il y a un intérêt à étudier des projets de minage extra-terrestres.
On parle de projets pour lesquels nous n’avons pas encore la technologie nécessaire, et autour desquels gravitent beaucoup d’incertitudes, tout de même.
Oui, mais deux choses poussent des entreprises de minage et des entreprises du new space à s’y intéresser quand même. D’une part, le traité de l’espace de 1967 dispose dans ses deux premiers articles que l’exploration et l’exploitation des objets célestes, comme la Lune ou les astéroïdes, doivent se faire au bénéfice de l’humanité, et qu’un Etat ne peut proclamer sa souveraineté sur un objet céleste. Et c’est là qu’entrent en jeu les entreprises, auxquelles l’ONU n’avait pas penser en 1967, qui elles peuvent s’accaparer les ressources extra-terrestres sans techniquement violer le traité.
D’autre part, il y a un projet immédiat d’exploitation des ressources spatiales, et c’est celui de l’occupation et de l’exploitation de notre unique satellite naturel, la Lune.
Le fameux projet Artémis, côté occidental.
Absolument, mais pas seulement. Parce qu’Artémis, c’est un projet qui est déjà à la limite de l’illégalité dans la mesure où l’on parle d’établir une base souveraine sur un territoire lunaire, donc de s’approprier un bout d’objet céleste, alors même que le projet est porté par des agences institutionnelles et financé par de l’argent public voté par les représentants des nations des pays participants.
Il y a des projets comme Argonaute, de l’ESA, qui prévoit d’utiliser les minerais présents sur la Lune pour construire des infrastructures, une idée qui vient de différentes propositions pour utiliser le régolithe lunaire comme matériau de construction de la base lunaire d’Artémis.
Et il y a des projets comme par exemple iSpace, une entreprise européenne qui est de la partie sur Argonaute, et qui pourra faire valoir son expérience et expertise quand viendra le temps d’exploiter plus de ressources, sur la Lune et ailleurs.
L’intérêt est là aussi économique ?
Pas uniquement. Dans le cas de la Lune, utiliser le régolithe lunaire, qui est la poussière à la surface de la Lune, c’est le projet de rendre aussi autonome que possible l’occupation d’une base lunaire, en séparant sur place l’eau cristallisée qui s’y trouve, en agglomérant la poussière filtrée du régolithe pour faire des briques qui permettront de construire la base elle-même, etc. Et ç’a l’avantage évidemment de limiter le ravitaillement nécessaire de cette future base lunaire, si elle finit par exister, mais c’est aussi un test d’innovation humaine pour coloniser des territoires hostiles à la vie. Et ça pourrait être applicable sur Terre, sur Mars, ailleurs.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.