Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.Partie 3
Bonjour Christine, La semaine dernière, vous nous avez laissé un peu sur notre faim, avec un jumeau numérique que vous nous avez présenté comme un avatar de la ville, et vous nous avez promis de nous expliquer ce qu’on pouvait en faire d’intéressant. Je suis donc impatiente d’en apprendre un peu plus.
Alors c’est à la fois une question facile et difficile parce que les applications sont très diverses. Et en plus, parler de 3D à la radio c’est quand même un sacré défi ! Je vais essayer de vous donner 4 exemples, pour 4 grandes catégories d’applications. La première de ces grandes catégories c’est partager ; la seconde, c’est croiser les informations ; la troisième, planifier et la quatrième, simuler.
Parfait, commençons donc par la première, le partage.
C’est sans doute la plus importante car c’est une des plus grandes difficultés dans la gestion des villes aujourd’hui. Paradoxalement nous disposons de plus en plus d’informations, et de plus en plus précises, dans tous les domaines. Cependant, d’une part la quantité devient une difficulté : il est difficile de distinguer ce qui est utile ou pas. D’autre part, la manière dont les villes sont organisées, et ça c’est historique, fait que les choses sont gérées de manière silotée, spécialité par spécialité. Alors que, pour prendre en compte toute la complexité des sujets, une vision globale et transversale est de plus en plus nécessaire nécessaire. C’est justement ce qu’apporte le jumeau numérique : la possibilité d’une vision transversale et partagée : chacun met à disposition des informations et peut avoir accès aux informations des autres. Un exemple : la ville met le jumeau numérique à disposition des architectes qui peuvent l’utiliser pour y insérer les maquettes 3D de leurs projets. Cela facilite leur travail de conception en visualisant l’intégration du projet dans son environnement proche, mais cela facilite aussi plus tard l’instruction du permis de construire par les services concernés.
Vous nous parlez aussi de croiser, qu’est ce qu’on croise dans un jumeau numérique ?
Quand je dis croiser, il faut comprendre confronter 2 types d’informations, issues de 2 sources différentes, pour en générer une 3e qui sera utile. Je vais continuer sur mon exemple précédent, mais parler maintenant d’un projet d’aménagement. Par exemple une place où l’on souhaite planter des arbres. Vous avez 3 types d’acteurs : l’urbaniste qui imagine et dessine le projet, la ville qui instruit le dossier, et les gestionnaires des réseaux en sous-sol, que ce soient le gaz, l’eau ou les télécoms. Et bien la ville peut demander aux gestionnaires de partager en amont, dans le jumeau numérique, les plans précis de leurs réseaux avec leur tracé en 3D, cad y compris la profondeur à laquelle ils sont enterrés. L’urbaniste peut alors choisir les emplacements des arbres en tenant compte de ce qui se passe sous le sol et de la place qu’il faut laisser au système racinaire pour laisser une chance à l’arbre de s’épanouir. Cela évite, au mieux les allers retours en instruction quand c’étaient les services instructeurs qui faisaient cette vérification, au pire les incidents quand on découvrait sur le chantier que ce n’était pas une bonne idée de creuser juste sur la canalisation d’eau !
Voilà en effet une application très concrète. Ce n’est pas très loin de la planification, si ?
Oui c’est vrai. Planifier, du point de vue de la ville c’est un peu regarder à l’échelle au-dessus, c’est dessiner les grandes orientations de la ville de demain, comment elle va croitre, se transformer. Par exemple, de très nombreuses villes continuent à voir leur population croitre. Cependant l’espace pour construire, lui, se réduit. On cherche à préserver la nature qui nous aide à lutter contre le réchauffement climatique, ce qui amène donc à densifier les constructions. Et cette densification peut se faire en mettant plus de bâtiments au même endroit, mais aussi en construisant plus haut, et peut être en surélevant des bâtiments existants. Grâce au jumeau numérique et aux informations 3D qu’il contient, on peut facilement calculer et visualiser quel est le potentiel de surélévation d’une ville en fonction de la limite haute qu’on autoriserait pour construire, et ce quartier par quartier.
Et donc envisager plusieurs scenarios, puis décider du meilleur c’est bien ça l’idée ?
C’est exactement ça, Laurence. Et c’est aussi l’essence du dernier type d’application dont je voulais vous parler : la simulation. Ce qui est chouette avec un avatar c’est que c’est un objet virtuel. Vous pouvez donc jouer avec, le modifier pour voir ce qui se passe, sans conséquence dans le monde réel, du moins pas tout de suite. Le but c’est de tester, de voir avant de faire, pour éviter de faire des bêtises ! Restons sur nos projets d’aménagement. Disons que je suis une ville avec une rivière et que j’ai un projet d’aménagement d’une zone commerciale, pas très loin de cette rivière. Si j’ai un jumeau numérique, j’ai tout le terrain en 3D, je peux voir les zones qui sont inondées en priorité si je fais virtuellement monter le niveau d’eau et déborder la rivière, et donc je peux décider de où il ne faut pas construire. Ca c’est un peu le niveau 0 de la simulation, et c’est déjà pas mal. Mais en fait ce projet, même en dehors d’une zone inondable, aura lui-même un impact sur les inondations, car il imperméabilise les sols et modifie leurs capacités d’absorption de l’eau. Si je dessine le projet dans le jumeau numérique, avec la création des bâtiments, des routes, des parkings, là où avant il y avait des espaces naturels, je peux échanger ces informations avec des simulateurs plus puissants. Ils vont en tenir compte pour réévaluer cette capacité d’absorption des sols et l’impact que cela aura sur la manière dont les inondations vont se répandre, en dehors même de la nouvelle zone construite. Cela va permettre de réévaluer le projet si jamais on démontre un impact problématique pour les populations.
Et ce n’est là qu’un tout petit aperçu du champ des possibles j’imagine ?
Oui tout à fait, on pourrait donner des dizaines d’exemples. Mais encore une fois, même si on est sur des objets numériques, virtuels, il faut quand même réfléchir en amont à l’usage, à la manière dont un outil comme le jumeau numérique peut aider à la mise en œuvre des différents projets de la ville. Et pour cela s’appuyer sur des problématiques et des sujets concrets. Il est arrivé parfois que des villes se lancent dans la constitution d’un jumeau numérique sans réfléchir suffisamment en amont à ce qu’elles allaient en faire, juste parce que le potentiel semblait énorme. Et du coup, on se retrouvait avec un bel objet sans applications, sans avoir impliqué les futurs utilisateurs dans la démarche, et donc des difficultés ensuite à les faire adhérer à une nouvelle manière de travailler qui était pourtant prometteuse.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.