Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.
Christine Le Brun, vous êtes experte en territoires intelligents au sein du groupe Onepoint. Aujourd’hui, on parle changement climatique. A Porto, les citoyens sont mis à contribution. C’est une bonne idée, mais comment les mobiliser ?
En termes d’action contre le changement climatique, on peut parfois se trouver un peu démuni tant la tâche est lourde. Et en tant que particulier, même si on se sent concerné, c’est vrai que l’on peut douter de l’impact de nos petites contributions individuelles. Pourtant, quand l’ambition est grande comme c’est le cas à Porto qui vise la neutralité carbone en 2030, il faut mobiliser tous les leviers. Alors le plan, c’est de le faire sans y penser, en s’amusant.
Joli programme, mais est-ce réaliste ?
En fait l’idée est de donner au sujet, souvent perçu comme un peu lointain, une couleur plus personnelle, créative et même amusante. Le Pacte climatique de Porto, c’est un projet ambitieux qui ne concerne pas seulement la municipalité. Il a l’ambition d’impliquer les habitants, jusque dans leurs habitudes quotidiennes. Il comporte plusieurs volets qui s’appuient sur la narration, la culture et la technologie pour les inciter à devenir des contributeurs plus actifs, dans un esprit positif. Par exemple, la campagne de communication a été co-conçue avec des étudiants en arts et personnalise le message à partir de références locales comme des expressions familières typiques de la région pour que les gens se sentent plus concernés. Ils ont également proposé des parcours guidés des initiatives menées par la ville en faveur de l’action climatique, en compagnie des experts et du personnel de la mairie. Ils expliquent aux participants les motivations et l’impact des projets pour les rendre plus concrets.
Et le volet phare de ce pacte est une application, pour inciter les citoyens de Porto à contribuer activement à la réalisation des objectifs de neutralité carbone de la ville ?
Tout à fait, elle s’appelle « WAKE UP ! ». C’est une application numérique qui a été imaginée pour transformer un comportement durable en une sorte de jeu quotidien. L’idée est de donner à voir de manière simple l’impact des habitudes de vie sur les émissions de carbone. Mais surtout d’exploiter ces informations de manière originale pour en faire un levier ludique et une motivation à adopter des pratiques vertueuses. Les secteurs qui sont visés sont l’eau, l’énergie, la mobilité, l’alimentation et la gestion des déchets.
En somme c’est un peu comme l’appli que propose mon fournisseur d’énergie non ?
Oui et non, parce que l’appli de votre fournisseur d’énergie ne concerne que l’énergie, et n’a pas forcément de coté ludique. Mais surtout, WAKE UP ! est à l’initiative de la ville. C’est là que c’est intéressant, parce qu’en faisant cela, elle joue le rôle de fédérateur et d’agrégateur pour la collecte de données, et qu’elle les utilise pour engager les citoyens dans sa politique de durabilité. Et ça c’est nouveau !
Et concrètement, comment s’y prennent-ils ? Parce que vous nous avez déjà expliqué que l’agrégation des données c’est souvent compliqué.
Exact ! Ils se sont donc appuyés sur un existant, que les habitants de Porto connaissent déjà : la Porto Card. Cette carte citoyenne, et son équivalent numérique permet d’accéder à divers services publics, comme les transports en commun, la piscine, la bibliothèque ou d’autres services urbains. En somme, c’était une plateforme prête à l’emploi pour collecter de manière sécurisée des données sur l’activité urbaine de chaque personne. L’idée est maintenant que l’application puisse aussi se synchroniser avec les compteurs intelligents pour montrer combien d’électricité et d’eau vous avez consommées chaque semaine ou mois, de mesurer votre progression, de vous comparer par rapport à vous-même ou à d’autres personnes. Par exemple, si vous prenez le métro ou le bus avec votre carte Wake up, cela compte comme des km de trajet décarbonés. Toutes ces informations sont ensuite présentées à l’utilisateur dans un tableau de bord convivial avec un suivi comme le font les trackers d’activités sportives. Les utilisateurs gagnent des points pour chaque éco-action, qui se traduisent ensuite par des récompenses. En plus de cela, grâce à l’analyse des données et aux algorithmes d’apprentissage, WAKE UP fournit aux utilisateurs des recommandations et des incitations personnalisées pour améliorer leur score et donc leur contribution.
Quels sont les bénéfices de cette approche pour la collectivité ?
Le projet favorise la collaboration entre les parties prenantes publiques et privées, le milieu universitaire et la société civile. Cela va dans le bon sens par rapport à une approche globale de la durabilité qui selon moi est nécessaire. L’engagement des utilisateurs sera d’ailleurs suivi pour tenter d’évaluer l’efficacité de l’initiative et de quantifier l’impact des comportements durables des citoyens sur la stratégie globale. Stratégie qui pourra ensuite être adaptée en conséquence.
Les retours sont également partagés avec d’autres villes en Europe, notamment dans le cadre du programme NetZeroCities. L’architecture technique de la plateforme a d’ailleurs été pensée de manière modulaire et ouverte pour faciliter sa réplication. Cet élargissement du projet à partir de la phase pilote à Porto va permettre d’explorer dans quelle mesure des idées abstraites comme la résilience climatique peuvent prendre plus de corps et susciter un engagement réel lorsque les gens peuvent percevoir l’impact et les bénéfices de leurs actions.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.