Une chronique de Christine Le Brun, Experte Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.
Christine Le Brun, aujourd’hui vous allez nous parler d’art, de données, et de décarbonation. C’est une association audacieuse et même un peu contre-intuitive. Alors est ce que c’est juste une belle idée ou bien un projet dont vous allez nous parler ?
C’est bien un vrai projet, Laurence ! Pas tout récent, mais il est tout simplement génial ! Ca se passe à Helsinki, c’est très poétique, et comme Noël approche, un petit tour en Finlande c’est aussi d’actualité. Vous vous souvenez que la semaine dernière, nous avons parlé de Porto qui impliquait les citoyens dans sa démarche de décarbonation grâce à un jeu. A Helsinki, même objectif, mais une autre approche, dans laquelle le collectif d’artistes français Hehe a eu un rôle déterminant. Leur projet c’est le « Nuage vert ».
Un beau titre pour de la science-fiction je trouve. Mais surement sérieux car je crois savoir que Helsinki n’est pas une inconnue dans le monde des villes intelligentes ?
En effet Laurence, la capitale finlandaise développe depuis de nombreuses années une approche globale de la smart city. Son projet phare est le nouveau quartier de Kalasatama, en cours de construction, qui sert d’espace pilote sur de multiples sujets comme l’autopartage, l’énergie, ou encore le suivi médical via des outils connectés. J’en parlerai peut être une autre fois. Le nuage vert, c’est complètement autre chose. C’est une expérimentation limitée dans le temps, qui implique les citoyens, une centrale hydroélectrique et des données de consommation énergétique.
Cela fait un drôle d’attelage, mais j’imagine que vous allez nous expliquer tout ça ?
Avec plaisir, et cela va vous demander un petit effort de visualisation. Déjà, l’idée de départ, c’est de matérialiser les enjeux environnementaux pour qu’ils deviennent un sujet plus concret dans notre vie quotidienne collective. Le support, si l’on peut dire c’est le grand panache de vapeur émis au-dessus de la centrale thermique au charbon, dans le quartier de Salmisaari. En projetant un puissant laser sur cette vapeur, la nuit d’Helsinki s’éclaire alors d’un nuage vert qui ressemble un peu à une aurore boréale. Et le projet, c’est que la taille de ce nuage soit proportionnelle à la consommation énergétique du quartier sur la journée venant de s’écouler. Moins les habitants consomment, plus l’impact est grand, et plus le nuage s’agrandit.
Je commence à voir. Cela paraît simple mais je suis sure que ça ne l’est pas. Comment s’y sont-ils pris pour organiser cela ?
Les aspects techniques ont été réalisés avec l’aide de scientifiques du département de physique des lasers de l’Université technique d’Helsinki et du département d’informatique de l’Université de l’Illinois, ainsi que d’un fabricant de lasers médicaux. Mais le plus difficile a été de convaincre les gestionnaires de la centrale, qui ne voyaient pas forcément l’initiative d’un bon œil. Et on peut les comprendre. Après tout, le projet consistait à mettre un coup de projecteur, au sens propre, sur une infrastructure polluante et particulièrement ciblée par les enjeux de décarbonation. Ils n’avaient pas forcément envie de cette publicité. Mais ils ont fini par se laisser convaincre. Grâce à leur implication, l’accès aux données de consommation en temps réel des habitations a également été rendu possible, et cela a permis d’organiser un évènement sur toute une semaine.
Racontez-nous cela ?
Et bien, chaque nuit pendant 1 semaine, les émissions de vapeur de la centrale au charbon ont été éclairées par un laser à très haute puissance qui dessinait, sur le nuage lui-même, un contour en mouvement, le colorant en vert. Cela faisait comme une énorme enseigne visible très largement dans toute la ville et même au-delà. Les premiers jours, la taille du nuage vert variait en fonction de la consommation électrique de la journée. C’est la première fois qu’une infrastructure numérique invisible mesurant la consommation locale d’électricité était ainsi rendue publique et visible.
Mais ils sont allés encore plus loin dans l’exercice ?
Oui, une fois le projet installé, connu et compris, ils ont cherché à générer une action volontariste de la part des citoyens, pour démontrer que leurs pratiques quotidiennes avaient un impact. Des groupes communautaires locaux ont distribué des affiches, des flyers, des autocollants, demandant aux gens, le dernier jour, de débrancher leurs appareils, de baisser le chauffage, d’éteindre les lumières, pendant 1h. Le projet a été couvert par tous les journaux locaux gratuits, la presse municipale, la radio nationale et les informations télévisées régionales. Le but était, sur ce dernier jour de l’expérimentation, de créer un moment “de coupure”, et d’assister en temps réel, à l’agrandissement le plus spectaculaire possible du nuage vert.
Et est ce que ça a marché ?
Oui, on a observé une réduction de la consommation de l’ordre de ce que produit une éolienne pendant cette coupure, ce n’est pas rien. Mais au-delà, ce que je trouve vraiment remarquable et innovant ici, c’est cette réflexion sur la conversion artistique de données, sur le mix art et tech. On met en œuvre une approche créative pour faire quelque chose d’impactant à partir des données énergétiques. Et je trouve ça bluffant : la dimension matérielle, collective et esthétique du projet en fait vraiment quelque chose d’unique. Imaginez cette installation lumineuse, vivante, mouvante, à l’échelle de la ville, sur une sorte d’emblème de la pollution industrielle ! Et participative en plus ! C’est extrêmement audacieux et ambitieux. Je pense qu’il n’y a pas mieux pour alerter le public, susciter de la curiosité, des discussions et peut-être influer sur les comportements. Bravo Helsinki, et joyeux Noël !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.