Tous les mercredis, retrouvez Tarinda Bak sur euradio pour sa chronique intitulée "L'européenne de demain", dans laquelle il sera question des combats menés par les femmes en Europe et partout dans le monde.
Que nous offre l’Union européenne cette semaine ?
Tout d’abord une pensée. Une pensée pour ceux et celles auxquel·les nous avons rendu visite pendant la Toussaint. À toutes ces femmes, ces hommes et enfants qui reposent en paix. Lors de ce 1er novembre, nous avons honoré leurs existences. Certains ont vécu de nombreuses années, d’autres non. Mais tous, et toutes nous ont quitté trop tôt. Beaucoup trop tôt. Toujours trop tôt.
Aujourd’hui, même si je voudrais vous parler de ces personnes si chères à notre cœur, je me force à penser aux personnes qui demeurent présentes. Et surtout à ces femmes à qui on reproche d’appartenir à leur genre, le genre féminin. C’est à celles-ci, à ces femmes, à ces victimes de féminicides que j’aimerais consacrer cette chronique. J’aimerais à mon tour leur porter des chrysanthèmes et célébrer leurs mémoires.
Le féminicide ? C’est-à-dire ?
Le féminicide c’est le meurtre d’une femme ou d’une fille en raison de son sexe. Et oui, cela arrive. Que ce soit en Inde, dans un pays reculé, en Europe, aux États unis, en Allemagne en Italie, en Espagne, ou encore en France. Oui, même en France.
Il y a eu 107 féminicides depuis janvier 2022 en France c’est bien ça ?
Oui, 107 ou encore 92.
107 ou 92 ?
Là est tout le problème, ou devrais-je dire les 107 ou 92 problèmes. Le recensement du féminicide ne possède aucune méthodologie unique. Je vous entends d’ores et déjà me dire qu’il suffit de les compter un par un. Seulement chaque association, chaque organisme ou institution est libre de la définir selon sa vision et sa définition.
Quid des autres pays européens ?
Nos ami·es européens et européennes tiennent également un décompte et font face à la même problématique.
En Allemagne, Il s’agit du Bundeskriminalamt, soit l’office fédérale de police criminelle, qui établit, depuis 2016 un rapport annuel au sujet de ces assassinats commis dans la sphère intrafamiliale. La Belgique, quant à elle, ne procède pas à un décompte mais délègue ce recensement à des représentants de la société civile. D’ailleurs, on retrouve dans ces données le féminicide perpétré par un conjoint ou ex-conjoint, celui commis lors d’une tentative de viol, celui commis par un membre de la famille, ainsi que celui accompli dans le cadre de la prostitution.
Quant à L’Italie ? Elle établit aussi un décompte élargi n’est-ce pas ?
Effectivement, elle comptabilise également les meurtres lors qu’il y a un degré de connaissance entre l’auteur et la victime, comme les meurtres intrafamiliaux conjugaux, les féminicides effectués dans le cadre du crime organisé, ainsi que les meurtres de travailleuses du sexe.
Donc vu que chaque État européen possède sa propre méthodologie, nous assistons à l’omission de certains meurtres des décomptes ?
Exactement. C’est la raison pour laquelle l’Espagne tente de combler cette lacune et offre un exemple qui était jugé avant-gardiste. En effet, dotée de tribunaux spécialisés en violence de genre, l’Espagne, et plus précisément sa ministre de l’Égalité Irene Montero, décrit 5 types de féminicides recensés.
Tout d’abord, il y a les féminicides « familiaux » ayant lieu dans la sphère conjugale, et ceux commis par un membre de la famille de la victime. Puis il y a celui dit « social » effectué par un individu, qu’il s’agisse d’un inconnu, d'un ami ou encore d’un collègue de travail. Suivent les féminicides « sexuels », liés à la violence, à l’exploitation et au travail du sexe, ainsi qu’au mariage forcé. Enfin, il y a le féminicide dit « par procuration », c’est l’assassinat d’une personne pour nuire à une femme, qu’il s’agisse d’un proche ou d’un enfant. De plus, les collectifs les comptabilisent également afin de compléter cette typologie du féminicide, les meurtres de femmes motivés par la haine : lesbophobie, transphobie, racisme, sur une personne prostituée ou encore pendant une interruption volontaire de grossesse.
Existe-t-il des mesures pour protéger les femmes victimes de violences avant que cela ne se transforme en féminicide ?
En pratique, certaines mesures ont été prises afin de pouvoir agir.
Prenons deux exemples : l’Italie et l’Espagne. Lorsque les Italiennes composent le numéro de la police, tout en demandant spécifiquement une pizza Margherita, cela indique alors qu’elles sont ou seront prochainement victimes de violences. Ainsi, une patrouille est envoyée au domicile afin d’intervenir.
Une autre stratégie est adoptée en Espagne et notamment durant le covid. Les femmes espagnoles pouvaient demander un masque violet dans les pharmacies, derniers lieux à rester ouvert lors du confinement, afin qu’elles soient prises en charge. D’ailleurs, dans ce contexte, si le numéro vert français peut être salué, il n’apporte malheureusement pas beaucoup de garanties de prévention des risques.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.
Photo : Jeanne Menjoulet