Tous les mercredis, retrouvez Tarinda Bak sur euradio pour sa chronique intitulée "L'européenne de demain", dans laquelle il sera question des combats menés par les femmes en Europe et partout dans le monde.
Que nous offre l’Union européenne cette semaine ?
Un partage. Le partage d’un lieu chargé d’histoire, et si symbolique pour la construction de l’Union européenne. Un lieu où il fait bon d’être, de par son environnement et de par les personnes qui y travaillent. Je vous parle d’un lieu très cher à mon cœur, où j’ai de merveilleux souvenirs : la maison Jean Monnet. Attention, je ne parle pas du peintre Claude Monet, mais de Jean Monnet : le père fondateur de l’Union européenne. Et aujourd’hui, ensemble, nous allons parler de sa femme Silvia.
Elle n’est pas connue du grand public, n’est-ce pas ?
Exactement. C’est son mari Jean Monnet qui est connu. Pourtant, à Bazoches-sur-Guyonne, à la Maison Jean Monnet, vous pourrez lors d’une visite du musée, entendre parler de l’implication de Silvia dans la vie de son mari et in fine, de son engagement pendant la construction européenne. La personnalité de Silvia et son amour pour la peinture vous seront également dévoilés, à travers les divers tableaux du musée.
Elle était italienne, il me semble, non ?
Parfaitement. Avant de prendre le nom de son mari, elle s’appelait Silvia de Bondini. D’ailleurs malgré ses racines italiennes, Silvia est née en Turquie, où son père, après avoir été balayeur, était propriétaire du journal La Turquie, un quotidien politique. Par la suite, elle passa plusieurs années de son enfance à Belgrade, en Serbie, où vivait la famille de sa mère. Cette fuite eut des effets directs sur sa connaissance de l’italien, alors son père décida de la ramener à Rome. Il mourut peu de temps après, laissant Silvia et sa mère dans la difficulté financière.
C’est comme cela qu’elle se maria à Jean Monnet ?
Oui et non. Elle se maria certes, mais pas à Jean Monnet. Et oui, à 22 ans, Silvia se maria à Francesco Giannini, un employé de la Banque Blair.
Alors comment, et quand, va-t-elle rencontrer Jean Monnet ?
Vous allez voir, Hollywood n’a qu’à bien se tenir, car c’est lors d’un dîner entre son mari et Jean Monnet, qui était à l’époque le représentant pour l’Europe de la banque Blair, que Silvia le rencontra. Et là, un véritable coup de foudre eut lieu. Une magnifique histoire d’amour naquit entre Silvia et Jean Monnet. Et le lendemain, il lui offrit un bouquet de roses et tous deux décidèrent de s’enfuir.
Elle a donc pu divorcer de son premier mari ?
Vous savez, dans les années 1930, la loi italienne ne permettait pas le divorce. Mais ceci n’a pas arrêté nos deux tourtereaux. Par la suite, fruit de leur amour, ils eurent une première fille, nommée Anna, dont la paternité légale fut discutée.
Comment ont-ils pu divorcer ? Ont-ils fui toute leurs vies ?
Ils ont fui pendant de longues années. Mais un jour, Ludwik Rajchman, qui travaillait à la SDN et qui était un ami de Jean Monnet trouva une solution. Il leur proposa de se marier à Moscou. Jean Monnet et Silvia partirent donc de Saint-Germain-en-Laye pour se marier là-bas, puisque la loi soviétique permettait de divorcer de manière unilatérale. Silvia pu ainsi se défaire de ses liens maritaux en devenant citoyenne soviétique. Et quelques années plus tard, naquit une autre fille, Marianne, à Washington DC. Silvia finira par avoir la nationalité française. Et ce n’est que trente ans après leur mariage civil à Moscou, que Jean Monnet et elle, finirent par se marier religieusement à Lourdes.
Silvia Monnet, était-elle engagée dans le travail de Jean Monnet ?
Alors, Silvia était une femme très engagée. Elle était personnellement investie dans des projets tels que la Croix-Rouge. Sans omettre le rôle qu’elle avait auprès de son mari en tant qu’épouse, puisqu’elle lui a offert un environnement stable. Leur famille était très soudée grâce à elle, et permettait à Jen Monnet d’évoluer dans un environnement solide, et familial. Mais, limiter le rôle de Silvia à celui de mère et d’épouse serait mentir puisqu’elle remplissait bien d’autres rôles auprès de son époux.
Elle était sa conseillère ?
Parfaitement. Jean Monnet ne prenait jamais une décision sans la consulter, ou écouter son avis. Mais Silvia avait également le rôle d’assistante et de secrétaire. Elle rédigeait de nombreux télégrammes lorsque son mari était souffrant. D’ailleurs, lorsque vous visitez le musée à la Maison Jean Monnet, lieu où ils ont vécu, on comprend parfaitement le rôle qu’elle a joué auprès de son équipe, et des invités qu’ils recevaient, pour faire avancer la construction de l’Union européenne. Elle a su créer un espace coquet et chaleureux, puisqu’elle avait du savoir-vivre, ce qui eut un impact véritablement positif sur les relations professionnelles de Jean Monnet.
C’est ce côté humain qu’on appréciait ?
Oui, par les collaborateurs de son mari mais également de leurs femmes, ce qui favorisait grandement les échanges professionnels qui se terminaient souvent en amitié d’ailleurs.
Participait-elle directement à des opérations de négociations ou à des événements ?
Oui, elle donnait des informations aux collaborateurs de jean Monnet, ainsi qu’à lui-même lors de certaines opérations. Mais elle servait également de messagère afin de transmettre un document très important au Président des États-Unis. Pardonnez-nous du peu !
Et par la suite ?
Par la suite, ils décidèrent tous les deux, de faire don de l’ensemble de leurs archives à l’Université de Lausanne, pour la création de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe. Et c’est âgée de 75 ans, que Silvia Monnet nous quitta à Rome, quelques années après son mari. Afin de le rejoindre, elle fut rapatriée. Cependant, malgré ces retrouvailles, ils furent séparés lorsque Jean Monnet fut panthéonisé.
Un mot pour la fin ?
Il y a de ces lieux qui laissent une marque en nous, qui nous ouvre une porte directement sur le passé, sur l’histoire, sur notre histoire à nous européens, et européennes. Alors si vous voulez vous sentir inspiré, connaître davantage l’histoire de Silvia Monnet, et observer un visage féminin qui a participé à la construction de l’Union européenne telle que nous la connaissons aujourd’hui, allez à Bazoches. Visitez la Maison Jean Monnet, et repartez avec cette force de vouloir, et, pouvoir tout changer autour de vous !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.