Tous les mercredis, retrouvez Tarinda Bak sur euradio pour sa chronique intitulée "L'européenne de demain", dans laquelle il sera question des combats menés par les femmes en Europe et partout dans le monde.
Alors que nous offre l’Union européenne cette semaine ?
Une grande opération pour la sécurité des femmes. LA grande opération du gouvernement pour la sécurité des femmes. Veuillez m’excuser, pour mon ironie à peine dissimulée, mais, que ne fut pas ma surprise quand j’ai découvert cette opération.
Opération créée par Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur n’est-ce pas ?
Effectivement, créée par un homme qui, lui-même a été poursuivi pour viol, notez l’ironie de la situation. Alors, à partir du 30 mai, les policier·ères et les gendarmes de notre pays vont distribuer des flyers, 5 millions de flyers pour être plus précise, afin de lutter contre le harcèlement. Le gouvernement a décidé de prendre la question des violences sexistes et sexuelles à bras-le-corps, depuis le dernier rapport du Haut Conseil à l’Égalité, puisque ce dernier dénonce que 80 % des femmes craignent de rentrer chez elles le soir.
Et que retrouve-t-on sur ces flyers ?
Alors, étant donné qu’ils servent à « informer, et rappeler les gestes à avoir lorsqu’on est témoin, ou victime d’une agression », on retrouve des conseils sur le verso. Par exemple, vous avez « faites du bruit », « intervenez s’il n’y a pas de danger », ou encore « déposez plainte », et enfin, « alertez les forces de l’ordre ». Au recto, vous pouvez retrouver un QR Code, qui vous dirige vers l’application « Ma sécurité », où vous pourrez être mis en contact avec les forces de l’ordre pour signaler les faits de violence.
Ce flyer rappelle les bonnes pratiques certes, mais est-ce suffisant ?
Alors pour être totalement franche avec vous, je suis quelque peu surprise du nombre de flyers. 5 millions distribués donc 1 million à Paris. Mais nous sommes plus de 67 millions. Et je ne pense pas qu’il y ait 62 millions d’enfants en France. Mais vous savez, d’autres points me désespèrent cruellement.
L’aspect gadget avec le QR Code ?
En partie oui. Imaginez une femme qui se fait harceler par un homme dans la rue. Parvenez-vous à l’imaginer fouiller dans son sac, trouver ce flyer, relire les instructions, prendre son téléphone, scanner le QR Code, naviguer sur l’application et chatter avec un policier ou un gendarme ? Non n’est-ce pas ? Alors imaginez la brandir le flyer pour éloigner le pervers ? Ou lui jeter au visage le temps de s’éloigner ? Toujours pas ? Peut-être qu’en avoir un dans son sac à main permet d’éloigner les hommes qui souhaiteraient agir comme des animaux, vous savez un peu comme la citronnelle et les moustiques. Non bien sûr que non, alors pourquoi donc ces flyers ?
Quant aux gendarmes, et aux policier·ères, sont-ils·elles les mieux placés pour distribuer ces flyers ?
Je ne pense pas qu’ils·elles soient les mieux placé·es pour cela, et même beaucoup moins que les associations féministes. Ces policier·ères ou gendarmes, ne sont pas tous ou toutes formé·ees au harcèlement, ni aux violences que subissent les femmes. Et il serait grand temps que ce soit le cas ! D’ailleurs en 2019, un rapport de l’Inspection générale de la Justice établit, que « 80 % des plaintes sont classées sans suite ». Et nous devrions remettre notre sécurité à ces mêmes personnes, qui ne prennent pas au sérieux ce que l’on subit, ou pire, nous affabulent de remarques, nous rendent coupables, ou nous soupçonnent d’avoir eu le comportement qui justifierait ces actes ?
Et comment réagissent les associations féministes à cette opération du gouvernement ? Le soutiennent-ils ?
Alors, cette « grande opération » ne fait pas l’unanimité. J’irai même jusqu’à dire qu’elle ne remporte aucune voix, si ce n’est celle du gouvernement. Toutes les associations féministes ont partagé leurs colères, et leurs mécontentements, que ce soit sur les réseaux sociaux, ou sur les médias. Le collectif féministe Nous Toutes écrit sur Twitter : « qu’il s’agit d’une honte », et interpelle le gouvernement avec la question suivante : « Puisque vous adoptez les méthodes des associations sans budget, on échange et on prend votre place au ministère de l’Intérieur ? ». La porte-parole de Osez le féminisme reproche l’absence de formations des policier·ères en déclarant que « les tracts seront distribués par des officiers de police qui ne sont souvent pas formés aux violences conjugales ». Ce point fut repris par l’association Stopauharcèlementderue qui partage sur Twitter « le mauvais accueil qui est souvent fait aux victimes dans les commissariats, ce qui peut aggraver leur trauma. La plupart des victimes de harcèlement de rue nous indiquent ne pas souhaiter porter plainte et manquer de confiance en l’institution policière ».
Que manquerait-il afin que cette grande opération soit une réussite ?
Alors d’ores et déjà prévoir et planifier la formation de tous les officier·ères et gendarmes sur les violences faites aux femmes afin que le taux de non suite diminue et que les femmes se sentent en sécurité et accompagnées lorsqu’elles font la démarche de porter plainte. Puis le rappel des sanctions encourus pour harcèlement, viol, violences conjugales. Je pense que l’on doit assister sur les conséquences à de tels actes. Par exemple pour le harcèlement de rue, l’amende encourue peut aller de 90 euros à 3 000 euros en cas de récidives, ou lorsque le harcèlement est commis à l’encontre de personnes vulnérables.
Un mot pour la fin ?
Il serait grand temps que le gouvernement entreprenne « des mesures d’envergure pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles ». De la sensibilisation peut être menée dès le collège et le lycée, dans les entreprises, à chaque lieu de travail. Car en mai, il y a eu 7 féminicides. Ce sont 7 de trop, et ce chiffre ne doit pas être atteint en juin, car être femme ne devrait jamais faire de nous des cibles.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.