Retrouvez chaque semaine la semainière de Quentin Dickinson sur euradio. L'occasion de découvrir la diplomatie et l'actualité européenne sous un nouvel angle.
Alors, QD, qu’avez-vous retenu de ces derniers jours ?...
Tout d’abord, en ces temps difficilement déchiffrables, la déclaration commune sur l’Ukraine des présidents des trois principales institutions de l’Union européenne : António COSTA, pour le Conseil, Ursula von der LEYEN, pour la Commission, et Roberta METSOLA, pour le Parlement.
Ce texte est d’une fermeté aussi inattendue que rare et constitue une réponse claire au jeu trouble de Donald TRUMP. Bien sûr, il faudra évaluer dans quelques jours l’effet cumulé des démarches successives à WASHINGTON cette semaine d’Emmanuel MACRON et du Premier ministre britannique, Sir Keir STARMER ; mais, s’il n’en sort que des banalités cent fois entendues, ou si, plus probablement, compte tenu de la durée d’attention très limitée du président américain, celui-ci aura oublié le début des plaidoyers des Européens et n’en aura pas compris la fin.
Il n’empêche : il fallait effectuer ces démarches, objectivement de la dernière chance ; en cas d’échec, la déclaration des trois présidents des institutions de l’UE peut être comprise comme l’acceptation de la nouvelle définition des relations internationales – mais aussi de la volonté d’y définir très rapidement pour l’Europe une place unique, forte, et indépendante.
Mais, pour les Européens, l’heure n’est pas seulement aux paroles, aussi nettes soient-elles.
Que voulez-vous dire exactement ?...
Quelques heures seulement avant cette déclaration des trois présidents, l’Union européenne a décrété un nouveau train de sanctions contre la Russie – le seizième depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, qui aborde sa quatrième année.
Les cibles sont nombreuses : 74 pétroliers fantômes s’ajoutent à la liste qui compte désormais 153 navires ; 13 banques de plus sont identifiées comme étant en infraction par rapport aux sanctions déjà en vigueur ; sont désormais interdites d’exportation vers la Russie les consoles de jeux vidéo, dont on s’est aperçu qu’elles servaient à piloter les drones militaires ; et l’accès aux pays de l’UE est suspendu pour les poids-lourds, dont l’entreprise est propriété à plus de vingt-cinq pour cent d’intérêts russes. La liste est longue, qui cible aussi des ports et des écluses, des aéroports et des compagnies aériennes, des médias de propagande russe diffusant dans l’UE, sans oublier quarante-huit individus.
Vous allez sans doute revenir sur les élections législatives, dimanche dernier en Allemagne ?...
J’y venais précisément, d’abord pour constater que le futur Chancelier fédéral, le conservateur Friedrich MERZ, y est allé, lui aussi, d’une déclaration qui complète plutôt celle des trois présidents de l’UE ; pour M. MERZ, l’heure est à l’indépendance affirmée de l’Europe vis-à-vis des États-Unis de Donald TRUMP, qu’il place sur le même plan que la Russie de Vladimir POUTINE.
Il prévoit même que, vidée de sa complémentarité transatlantique, l’OTAN se vide de sa substance, et qu’il convient sans tarder de constituer une structure spécifiquement paneuropéenne de sécurité collective, appuyée notamment sur la dissuasion nucléaire de la France et du Royaume-Uni.
On notera que Friedrich MERZ sait très précisément à qui il a affaire, lui qui, en tant que juriste, a longtemps travaillé pour le compte de grandes entreprises américaines.
Il n’a donc pas dû être très surpris du message de félicitations de Donald TRUMP aux vainqueurs, où il néglige de citer le nom de M. MERZ, mais parvient à suggérer que la victoire de celui-ci est due à l’exemple de sa propre victoire et de celle de ses MAGAs.
Et quel regard portez-vous sur le résultat de ces élections Outre-Rhin ?...
Surtout, à une époque où s’érode l’intérêt des citoyens pour la politique, on en saluera le taux de participation : 83 %, le plus élevé depuis la réunification allemande il y a plus de trente-quatre ans.
Sans surprise, le balancier au Bundestag passe du centre-gauche au centre-droit avec la victoire des conservateurs de la CDU-CSU de M. MERZ, alors qu’à l’extrême-droite, le parti pro-russe AfD double son résultat par rapport aux législatives précédentes en 2021.
Le fait troublant, c’est que l’AfD domine sur un territoire, correspondant à peu de choses près à l’ancienne Allemagne de l’Est, à l’exception de la capitale, BERLIN.
Et l’ancienne Allemagne de l’Ouest est très largement aux mains de la CDU-CSU. Étrange renversement de tendance que celle d’une population qui a vécu pendant quarante-cinq ans dans un État policier vassal de la Russie, et qui aujourd’hui en réclame le retour.
C’était bien la peine de faire tomber le Mur de BERLIN.
Pour le reste, les Libéraux du FDP paient au prix fort leur participation à la coalition sortante : n’ayant pas franchi le seuil des 5 % des voix exprimées, ils n’ont plus aucun député ; et même situation pour le parti populiste d’extrême-gauche BSW. Les Verts sont en repli, mais restent présents au parlement ; quant au parti de la gauche affirmée, die Linke, il obtient un bon résultat grâce au vote de la Génération Z. Enfin, une curiosité : le parti SSW, qui représente la minorité danophone du Schleswig-Holstein, remporte un siège.
Et maintenant ?...
…maintenant, on en est à la négociation en vue de la formation de la coalition. Mon pronostic : ce seront les CDU-CSU avec le SPD (mais sans Olaf SCHOLZ) ; Friedrich MERZ, Chancelier (là, je ne prends pas trop de risques) ; et le social-démocrate (et personnalité politique préférée des Allemands) Boris PISTORIUS, Vice-Chancelier et Ministre fédéral de la Défense.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.