La semainière de Quentin Dickinson

Un monde politique éloigné de la réalité

@ Pierre Bamin / Unsplash Un monde politique éloigné de la réalité
@ Pierre Bamin / Unsplash

Alors, QD, avez-vous passé une bonne semaine ?...

…pas vraiment, vu le nombre de sujets d’agacement (comme on dit dans les chancelleries) qui sont tombés ces jours derniers.

A quels événements faites-vous allusion, Q.D ?...

…événements, ou non-événements, c’est selon. J’ai été à ce point consterné que je ne sais pas dans quel ordre vous les soumettre. Il y en a quatre.

Le premier, c’est l’histoire de l’eurodéputé italien de centre-droit Crescenzio (dit Enzo) RIVELLINI, à qui le Parlement européen réclame (jusqu’ici en vain) le remboursement de la somme de 252.321 Euros et 38 centimes, indûment perçus. Pour partie, il s’agit de la rémunération de son assistante parlementaire en poste à BRUXELLES, mais qui n’a jamais quitté l’Italie ni fourni la moindre prestation vérifiable. Du classique. Mais pour partie, les frais de mandat ont été investis dans une entreprise de communication…dont ladite collaboratrice, Bianca Maria d’ANGELO, était propriétaire, avant de devenir la compagne du député. Quelques éléments de contexte : M. RIVELLINI siégeait au sein de la Commission du Contrôle budgétaire, et Mme d’ANGELO préside aujourd’hui la Commission municipale de la Transparence de la ville de NAPLES. Vous en voulez encore ? Allons-y : au fil de sa carrière, M. RIVELLINI a adhéré à pas moins de huit partis politiques distincts et concurrents.

Enfin, il se sera payé le luxe d’intervenir auprès du Ministre italien des Finances en faveur du footballeur Diego MARADONA, lequel se trouvait impliqué dans une vilaine affaire de fraude fiscale.

Vous en avez d’autres, comme ça ?...

Oui, mais sur le principe, on peut considérer que celle-ci est moins haute en couleurs, mais aussi grave. C’est l’histoire d’un eurodéputé allemand de centre-droit, Christian EHLER, qui préside un groupe de travail consacré à l’avenir des sciences et techniques. Ce groupe d’élus de toutes tendances avait rédigé un rapport, relativement critique, sur les multinationales de l’industrie pharmaceutique – mais, à peine paru, ce rapport a été prestement retiré, à l’initiative directe de M. EHLER, dont on apprendra peu après que cette décision radicale lui avait été soufflée par une eurodéputée proche du secteur pharmaceutique, l’ancienne infirmière danoise Pernille WEISS – qui se trouve par ailleurs être la maîtresse du Président EHLER.

Bon, on a compris, c’est à la fois scandaleux et navrant…

Attendez, ça ne s’arrête pas là ! J’ai aussi l’histoire de M. Gordan GRLIĆ-RADMAN. Le Ministre des Affaires étrangères de Croatie (c’est lui) a tenté, lors d’une photo de groupe, d’embrasser sur la bouche son homologue allemande, Annalena BAERBOCK, qui a juste eu le temps de détourner la tête. La leçon de Luis RUBIALES à la finale de la Coupe du Monde de Football féminin n’a donc pas été comprise partout.

Et, une dernière : c’est l’histoire de Mme Jana ČERNOCHOVÁ, Ministre des Affaires étrangères de la République tchèque. Soutien d’Israël, très remontée contre les motions favorables à la cause palestinienne, elle en est venue à proposer publiquement que son pays claque la porte de l’Organisation des Nations-Unies, rien que ça.

Morale de ces histoires, pour autant qu’il y ait une ?...

La conclusion, c’est qu’un petit nombre de responsables politiques européens n’ont plus aucun lien avec le réel ni avec la décence, avec l’utile ni avec les devoirs de leur mandat. Ils ne sont pas (ou plus) conscients de la lourde responsabilité de leur conduite dans le recul de l’adhésion d’un nombre croissant de citoyens aux valeurs et principes de la démocratie parlementaire – tout cela à sept mois des prochaines élections européennes, qui s’annoncent d’ores et déjà bonnes pour les extrémistes et populistes de tout poil.

Mais, heureusement, il n’y a pas que cela dans l’actualité européenne…

En effet. Par exemple, en marge du G7 à OSAKA l’Union européenne a conclu un accord majeur avec le Japon sur les flux des données électroniques. Cela peut paraître technique, voire marginal ; or, ce serait faux de le croire, car la réglementation actuelle impose des coûts de stockage et des délais qui pénalisent les échanges commerciaux, et dont les entreprises se plaignent depuis longtemps.

Toujours à OSAKA, les Australiens ont choisi de rompre unilatéralement les négociations avec l’Union européenne sur un accord de libre-échange. L’idée, c’était de faciliter l’accès des Européens aux minerais rares australiens, et de simplifier les exportations agricoles australiennes vers l’UE. Le projet n’est pas près de ressortir du tiroir.

Enfin, le G7 a adopté un code de conduite en matière d’intelligence artificielle ; ce code s’applique sur une base volontaire, mais la Commission européenne prépare en ce moment une réglementation plus contraignante.

Pour finir, quelques brèves, QD ?...

On a noté la semaine dernière la volonté de la France de créer une agence européenne anti-corruption, dotée des pouvoirs d’investigation des revenus et du patrimoine des élus et des fonctionnaires des institutions et autres entités de l’UE. Pas un luxe, à coup sûr.

Autre offensive française (à laquelle nous souscrivons volontiers, ici à EURADIO), c’est la défense de la langue française et du multilinguisme dans lesdites institutions et agences de l’UE. PARIS intente d’ailleurs actuellement un procès à la Commission européenne, dont l’agence de recrutement a organisé un concours de spécialistes de l’espace et de la défense, où des pans entiers n’étaient accessibles qu’en langue anglaise. On rappellera utilement que l’UE compte vingt-quatre langues officielles, parmi lesquelles sont officieusement langues de travail le français, l’allemand, et l’anglais.

Enfin, mercredi dernier, l’on a commémoré, dans l’indifférence quasi-générale, le XXXe anniversaire de l’entrée en vigueur du Traité de MAESTRICHT. C’est l’acte de naissance de l’Union européenne, successeur des Communautés européennes, et qui, notamment, a ouvert la voie à la création de l’Euro et de la Banque centrale européenne.

Merci donc aux infatigables architectes et visionnaires de l’époque – dont notre continent aurait bien besoin aujourd’hui encore.