Le 22 mars 2023, la Commission européenne a adopté une proposition de directive pour mettre en place des règles communes visant à faciliter la réparation des biens. Au micro de Romain L'Hostis, Ralph Roggenbuck, juriste au Centre européen des Consommateurs, explique ce que cette future directive pourrait changer dans le quotidien des consommateurs.
Ralph Roggenbuck, pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste ce droit à la réparation ?
En fait, c’est un droit pour les consommateurs de bénéficier à une possibilité de réparation de certains produits, tout simplement. Puisqu’à ce jour, cela n’existe pas au niveau européen. Il existe des obligations de rendre des pièces détachées disponibles pour certains appareils, mais il n’existe pas encore un vrai droit à la réparation au niveau européen pour une certaine catégorie de produits.
Quelle est la différence entre réparation et reconditionnement, ou entre un produit d’occasion, un produit réparé, reconditionné ? Où est la limite entre ces différentes notions ?
Le produit reconditionné, on va devoir, en tant que vendeur, tester les fonctionnalités du produit. Le vendeur doit vérifier, tester pour s’assurer que le produit répond toujours aux obligations de sécurité, et si c’est un appareil électronique avec des données, il doit être vidé de toutes les données personnelles qui sont dessus. Et à ce moment là on peut considérer en France que c’est un produit reconditionné. Un produit d’occasion on ne va pas forcément retester ses fonctionnalités, ce genre de choses. [...]
Un produit réparé désigne un produit auquel on a changé une ou plusieurs pièces ? c’est plus partiel ?
Oui, voilà, c’est plus partiel, et on ne reteste pas forcément les autres fonctionnalités.
Le 22 mars dernier, la Commission européenne a adopté une nouvelle proposition de directive à ce sujet. [...] Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu plus ? Qu’est-ce qui va changer en terme de droit à la réparation ?
En fait, ce qui se passe, c’est que la proposition de directive prévoit ce droit à la réparation pour des produits techniquement réparables. Donc pour des catégories de produits déjà visés par des mesures d’éco-conception comme les machines à laver, lave-vaisselles, bientôt les téléphones. Ce droit à la réparation va être prévu pendant un délai de 5 à 10 ans suivant la fin de la garantie légale de conformité. En gros, la garantie légale de conformité elle est fixée à 2 ans au niveau européen à compter de la réception du produit. Ces deux ans passés, il y aurait encore 5 à 10 ans en fonction du type de produit, où pendant ce délai là les fabricants devront réparer les produits lorsque les consommateurs le demandent. Bien sûr il s’agira d’une réparation payante.
Qu’est-ce qui change par rapport à la période sous garantie ?
Sous garantie, il s’agirait d’une réparation gratuite, à la charge du vendeur. Hors garantie, pendant 5 à 10 ans, en fonction du type de produit visé, le fabricant devra réparer sur la demande du consommateur. Alors, bien sûr ce sera sûrement payant, ce sera rarement gratuit. Mais le consommateur devrait avoir le droit à la réparation, grâce à ces nouvelles règles. Ne serait-ce qu’obtenir la réparation, ce serait déjà super, puisque très souvent le consommateur lambda ne va pas savoir réparer un produit, et la seule disponibilité de pièces détachées va lui permettre parfois de faire certaines réparations lui-même. Mais il n’est pas technicien le consommateur. Donc c’est tout le problème, et c’est pour ça que sur une certaine catégorie de produits, l’Union européenne veut vraiment mettre ça en place. Par contre au niveau de la France, il y a quand même déjà des efforts qui ont été faits, la France est pionnière en matière de questions de réparabilité, il faut le dire. Car il y a par exemple un indice de réparabilité en France pour certains produits tels que les ordinateurs, smartphones. C’est assez intéressant.
Cet indice permet de mesurer à quel point un produit peut ou non être réparé ?
Oui, avec une notation sur plusieurs critères. Avec des critères de démontabilité du produit, d’entretien, d’utilisation. [...] Ce que la proposition de directive prévoit également, c’est de créer une plateforme en ligne par pays, qui serait un peu à l’image de la plateforme française longuevieauxobjets.gouv.fr . C’est une plateforme qui devrait faciliter les recherches pour les consommateurs de réparateurs et aussi de vendeurs de produits reconditionnés.
Cette plateforme dépendrait-elle de l’Union européenne ?
Pas forcément de l’Union européenne. Mais elle serait rendue obligatoire par l’Union européenne dans chaque Etat membre. La proposition entend par là que chaque Etat-membre doit mettre en place une telle plateforme. C’est une plateforme d’échange où les réparateurs pourront s’inscrire, faire des recherches locales pour trouver des réparateurs locaux. C’est encore assez général au niveau de la proposition.
Sera-t-il contraignant ce droit à la réparation ?
Il reste une directive, mais oui elle va quand même contraindre les Etats-membres de manière harmonisée, puisque c’est une directive d’harmonisation maximale. Cela veut dire que les Etats ne pourront pas créer une législation qui serait divergente de cette directive. Ils pourront par contre prévoir d’autres mesures complémentaires comme par exemple en réduisant encore les TVA à la réparation, une mesure déjà en place dans une dizaine ou douzaine de pays il me semble. Mais cela pourrait encore être complété, peut-être pour plus de produits, de prestations. Ce sont des solutions qui peuvent être des à-côté qui ne sont pas prévus par la directive, et pour lesquels les Etats membres peuvent légiférer. Mais par contre, ce qui est prévu là par la directive, il faudra quand même le respecter de cette manière là.
Qui sera responsable ? les Etats, les commerçants, les producteurs ?
C’est le producteur en premier lieu. Si le producteur n’est pas basé dans l’Union européenne, c’est souvent le cas, ce sera son représentant ou, à défaut, son importateur, son distributeur. Il y a une chaîne un petit peu d’acteurs qui seront responsables en fonction de la situation. Et c’est là aussi que nous on se pose des questions sur la mise en oeuvre, comment cela va-t-il se passer lorsque le fabricant ne sera pas basé dans l’Union européenne ? Est-ce que cela va bien fonctionner ? On va attendre de voir si le texte va évoluer avec les amendements. Autre remarque aussi, qu’est-ce qui va se passer si le producteur-le fabricant répond au consommateur que le produit n’est pas techniquement réparable ? Puisque le texte concernant le droit à la réparation vise les produits “techniquement réparables”. Est-ce qu’il n’y a pas là un risque aussi que parfois le fabricant essaye de botter en touche en disant “ce produit n’est pas techniquement réparable” ?
S’agit-il selon vous d’une zone grise ?
Oui une zone grise. Et c’est là que nous aussi on souhaite qu’il y ait plus de détails dans le texte final, car le problème là c’est qu’on ne sait pas comment va être calculé le prix de la réparation non plus. Pour le moment dans la proposition de directive il n’y a pas grand chose à ce sujet là. On aimerait bien savoir comment cela va être calculé. Qu’est-ce qui sera pris en charge ? Est-ce que c’est juste le prix de la pièce de rechange ? Est-ce que ce sera le prix de la main d’oeuvre ? Le prix du transport ? Donc là on est un peu dans l’attente.
A ce stade préalable de la proposition de directive, êtes-vous satisfait des éléments qui sont apportés ?
On trouve que c’est encore insuffisant, et le texte manque encore de précisions. Le droit à la réparation comme je le disais avant, prévoit cette obligation pour les fabricants de réparer les produits techniquement réparables, mais quelle est la définition du produit techniquement réparable ? Après, la proposition de directive prévoit aussi que les fabricants vont devoir informer les consommateurs à propos du droit à la réparation, par exemple par le biais de cette plateforme en ligne dont on parlait avant, qui ressemblerait peut-être à longuevieauxobjets.gouv.fr . Mais comment le consommateur peut-il être informé ? est-ce qu’il va penser lui-même à aller sur cette plateforme pour s’informer ? Nous on pense qu’il faudrait qu’il y ait des canaux de communication beaucoup plus importants, et que le consommateur sache que ce droit existe. Cela nous semble encore assez peu précis. On espère que les détails vont se faire au cours des débats, évidemment. On aurait souhaité qu’il y ait peut-être aussi une disponibilité des pièces détachées pour tout type de produit..
Enfin, un autre aspect qui a motivé ce projet de directive relative au droit à la réparation, c’est l’aspect environnemental. Je crois savoir que ce droit à la réparation s’inscrit aussi dans le Pacte vert européen, dans le Green Deal ?
Oui tout à fait ! C’est vrai que le consommateur, s’il ne peut pas réparer le produit, qu’est-ce qu’il va faire souvent ? il va le mettre à la déchetterie. Si on peut réparer le produit, ça évitera de devoir le jeter à la casse. Et surtout on s’éloigne alors de cette tendance de surconsommation, qui consiste à acheter, et racheter dès que le produit a le moindre problème. Effectivement, cela s’inscrit dans ce paquet de mesures de la Commission européenne. Et on est contents que ce droit arrive. Par contre, c’est vrai qu’il faudrait qu’il soit plus précis, peut-être dans les textes, pour que ce soit un droit encore plus effectif. Un droit universel à la réparation au niveau européen.
Entretien réalisé par Romain L'Hostis.