Consommateurs européens - Elphège Tignel

La riposte européenne face aux géants chinois du e-commerce

Photo de Markus Winkler - Pexels La riposte européenne face aux géants chinois du e-commerce
Photo de Markus Winkler - Pexels

Voyage, transport, e-commerce, protection des données personnelles… Les 3/4 des droits des consommateurs qui s’appliquent en France comme dans les autres pays européens sont issus de directives et règlements européens. Dans cette chronique, Elphège Tignel, du Centre Européen des consommateurs France, vous explique sur euradio comment l’Europe protège les consommateurs dans leur vie quotidienne et quels sont vos droits si vous voyagez, déménagez, achetez, payez, étudiez, téléphonez… en Europe.

Elphège, vous nous parlez aujourd’hui de la riposte européenne face aux géants chinois du e-commerce qui inondent le marché européen.

Si je vous dis Shein et Temu, je suis certaine que vous savez de quoi je parle. Ce sont deux des plateformes asiatiques qui ont conquis l’Europe en quelques années avec leurs prix imbattables. Plus de 4 milliards de colis de faible valeur sont entrés sur le marché de l'UE en 2024. C'est deux fois plus qu'en 2023. Et France, c’est également vertigineux. 22% des colis livrés proviendraient de Shein et Temu. Il y a cinq ans, c’était moins de 5%.

Mais derrière ces bonnes affaires pour les consommateurs, il y a de nombreuses sources d’inquiétude pour les autorités. Parmi elles la qualité et la conformité des produits, l’impact environnemental et la concurrence déloyale. C’est pourquoi la France comme l’Europe s’arment pour riposter à ces géants chinois du e-commerce.

En France, une loi a été proposée pour encadrer la "fast fashion".

En effet. Et son nom ne laisse aucune place au doute.

La loi française "anti fast fashion" repose sur trois axes.

D’abord, elle veut interdire la publicité pour les marques identifiées comme "fast fashion". C’est-à-dire celle qui propose plus de 1 000 nouvelles références par jour.

Ensuite, elle veut imposer aux entreprises d’afficher sur leur site, à côté des prix, des messages de sensibilisation encourageant à la sobriété, au réemploi, à la réparation et au recyclage.

Et enfin, elle veut créer un système de bonus/malus pour encourager une consommation textile responsable. Les entreprises de fast fashion se verraient imposer un malus par produit vendu. Un malus qui pourrait représenter jusqu’à 50% du prix du produit dans un plafond de 10 €.

Reste encore deux obstacles et pas des moindres : voter cette loi et l’imposer aux géants asiatiques.

Et l’Union européenne, est-ce qu’elle a, elle aussi, décidé de serrer la vis à ces plateformes ?

Absolument ! Plusieurs grandes mesures sont en cours à Bruxelles.

L’Europe veut, d’abord, mettre fin à l’exonération des droits de douane pour les colis à moins de 150 euros. Car jusqu’à présent, la valeur moyenne des colis de Shein et Temu est d’environ 30 €. Un montant qui leur permet donc d’échapper aux droits de douanes. Cette suppression devrait donc rétablir une concurrence plus équitable avec les entreprises européennes.

Ensuite, les contrôles des marchandises importées vont être intensifiés et ciblés. Pour cela, la Commission demande aux autorités douanières et aux autorités de surveillance du marché de coordonner leurs actions. Le but est de parvenir à retirer du marché le maximum de marchandises non conformes.

Enfin, la Commission souhaite appliquer strictement le Digital Services Act, le fameux DSA dont on a déjà parlé ensemble. L’année dernière, la Commission a classé Shein et Temu comme très grandes plateformes en ligne. Ces géants chinois du e-commerce doivent donc désormais prouver que leurs pratiques respectent les règles européennes en matière de contenu. Mais aussi en matière de sécurité des produits et de protection des consommateurs. Et la loi sur la loyauté numérique, le Digital Fairness Act, va également permettre de lutter contre toutes les techniques manipulatrices largement utilisées sur ces sites pour inciter les consommateurs à cliquer et acheter.

Et ces géants du e-commerce asiatiques se montrent-ils coopératifs ?

Pas vraiment.

En octobre 2024, l’Europe a ouvert une enquête formelle contre Temu pour non-respect de la règlementation européenne. Du DSA pour être précise. La commission européenne reproche notamment à l’entreprise de vendre des produits non conformes et de concevoir son site de façon addictif. L’enquête porte aussi sur la manière dont la plateforme recommande des produits aux consommateurs en ligne.

Et la Commission européenne veut vraiment se montrer intraitable puisque, dès novembre, elle a envoyé un nouvel avertissement pour pratiques trompeuses notamment. Si Temu ne se met pas en conformité, elle risque une amende pouvant atteindre 6% de son chiffre d’affaires mondial.

Et, il y a quelques semaines, une autre enquête a été ouverte par la Commission européenne. Contre Shein cette fois qui est aussi soupçonnée de ne pas respecter le droit européen.

La lutte contre ces géants chinois du e-commerce ne fait donc que commencer. Et le défi est de taille. Car pour que ces entreprises cessent de croître en contournant les règles, l’Europe doit leur imposer les réglementations existantes, rapidement et sans faillir.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.