Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Dans sa dernière revue, Confrontations Europe a réalisé, un entretien avec Stéphane Sejourné, Vice-président exécutif de la Commission européenne. Intitulé « Grand Entretien : nous devons prendre consciences de la force de notre modèle », cet entretien s’inscrit dans un contexte stratégique pour l’Union européenne, confrontée à d’importants défis économiques et industriels, et vise à explorer les pistes d’action pour renforcer sa compétitivité et sa croissance.
Cette semaine, vous nous proposez une immersion dans les enjeux industriels et économiques de l’Union européenne à travers cet échange exclusif que vous avez mené avec Stéphane Séjourné. Pouvez-vous d’abord nous rappeler le contexte de cet entretien ?
Cet entretien s’inscrit dans un moment stratégique pour l’Union européenne. Alors que s’ouvre un nouveau cycle institutionnel, l’Europe doit répondre à des défis immenses : le ralentissement de sa compétitivité, la montée des tensions commerciales, les conséquences durables de la guerre en Ukraine, ou encore le choc des transitions écologique et numérique.
Stéphane Séjourné arrive avec un mandat fort, structuré autour du rapport Draghi sur la compétitivité européenne. Il a accepté de revenir avec nous sur ce diagnostic sévère, mais aussi sur les leviers d’action concrets pour remettre l’Europe sur une trajectoire de croissance industrielle et stratégique.
Comment se porte aujourd’hui l’état de l’économie européenne et ses faiblesses structurelles ?
Stéphane Séjourné dresse un constat très lucide : l’Europe, depuis des décennies, s’est construite sur des dépendances extérieures : au gaz russe pour son énergie, à la Chine pour sa production et aux États-Unis pour les technologies numériques. Ces dépendances, que les crises récentes ont mis en lumière, affaiblissent notre autonomie stratégique. Il en résulte notamment une désindustrialisation progressive et une perte d’influence dans l’économie mondiale.
Il est temps d’engager un véritable sursaut industriel européen. Cela passe par une stratégie claire en trois axes : réduction de la charge administrative, investissements ciblés dans les filières industrielles et soutien massif à la production made in Europe. L’idée n’est pas de se refermer, mais de retrouver une capacité d’action autonome.
Justement, quelles sont les grandes lignes de la stratégie industrielle qu’il souhaite porter à la Commission européenne ?
L’accent est fortement mis sur le Pacte pour une industrie propre, présenté comme une transposition politique du rapport Draghi. L’objectif est d’activer tous les leviers de compétitivité en même temps : baisse des coûts de l’énergie, protection commerciale contre les surcapacités asiatiques, stimulation de la demande intérieure pour les produits européens et surtout, levée des obstacles internes.
En effet, le marché intérieur reste trop fragmenté. Le FMI estime que les barrières intra-européennes équivalent à des droits de douane massifs entre États membres. Cela freine les investissements, entrave la croissance de nos entreprises et mine la cohésion économique.
L’entretien mentionne également les secteurs de l’innovation et des nouvelles technologies. Qu’est-il concrètement proposé pour renforcer la position de l’Europe dans ces domaines ?
En réalité, l’Europe est encore performante dans la recherche, mais elle échoue à transformer ses innovations en champions industriels. Beaucoup de start-up européennes finissent par se financer ailleurs, souvent aux États-Unis.
Pour remédier à cela, un plan start-up / scale-up qui vise à améliorer l’accès aux financements en Europe et à faciliter l’entrée sur le marché est proposé. Une mesure forte est prévue, il s’agit de la mise en place d’un "28e régime", c’est-à-dire un cadre européen unique et simplifié pour les start-up innovantes. Cela leur permettra de bénéficier d’un arsenal de règles simplifiées et uniques, afin qu’elles puissent avoir un accès direct et beaucoup plus efficace aux 450 millions de consommateurs européens plutôt qu’aux 27 marchés différents.
Enfin, quelle vision plus long terme pour l’Europe est-il possible de percevoir ? Quels sont les scénarios envisageables à l’horizon 2035 ?
C’est catégorique : soit l’Europe accélère, soit elle décroche. L’unité économique de l’Union est la clef de la puissance. Il appelle les États membres à dépasser les égoïsmes nationaux et à miser sur un marché unique véritablement intégré. C’est la condition pour valoriser pleinement notre base de 450 millions de consommateurs, qui reste l’un des plus puissants atouts du continent.
En outre, il est essentiel de souligner la force de notre modèle européen. Ce modèle d’économie sociale de marché, respectueux de l’État de droit, de l’environnement et du progrès social, est un avantage stratégique, pas un fardeau. Et c’est en renforçant notre compétitivité que nous pourrons le préserver, le rendre attractif et durable.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.