Michel Derdevet, président du think tank Confrontations Europe revient dans cette chronique hebdomadaire sur les dernières publications de son organisation, notamment de sa revue semestrielle. Énergie, numérique, finances, gouvernance européenne, géopolitique, social, les sujets d'analyse sont traités par des experts européens de tout le continent dont le travail est présenté par Michel Derdevet.
Confrontations Europe a publié un article de Thibaut Bruttin, Directeur général de Reporters sans frontières, qui revient sur la nécessité de préserver le pluralisme dans le paysage médiatique, condition essentielle pour garantir la liberté et l’indépendance du journalisme dans le débat public.
En quoi le pluralisme des médias est-il un principe fondamental inscrit dans la liberté de la presse ?
Le pluralisme est une notion centrale pour garantir un débat public libre et équilibré dans le paysage médiatique européen. Plus concrètement, le pluralisme s’incarne à la fois dans la pluralité des sources d’information et la variété des médias présents dans un espace informationnel donné, mais aussi dans la diversité des locuteurs, des sujets et des opinions au sein d’un même média.
Cependant, une trop grande concentration des médias entre les mains de quelques propriétaires, provoquent une crise de confiance dans la société. Dès lors, pour préserver la qualité et l’indépendance de l’information, et garantir la protection de la liberté d’opinion, il est indispensable que le pluralisme soit inscrit au cœur des réflexions sur la régulation audiovisuelle, tant au niveau européen que national.
Vous évoquez l’importance de réguler l'audiovisuel. N’existe-t-il déjà pas un encadrement législatif à ce sujet ?
Si, tout à fait. Par exemple, le règlement European Media Freedom Act, adopté au printemps 2024, ne mentionne pas moins de cinquante fois le terme « pluralisme ». Plus précisément, ce règlement rappelle la jurisprudence de la CEDH, qui impose aux États une obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif approprié pour garantir un pluralisme effectif.
Il évoque également les obligations des États en matière de pluralisme externe (variété des médias). D’abord, les effets sur le pluralisme doivent être pris en compte dans les opérations de concentration des médias. Ensuite, les médias sont conçus comme devant contribuer au pluralisme médiatique. Enfin, les interventions étatiques qui entravent la liberté d’établissement portent atteinte, par conséquent, au pluralisme des médias.
A l’échelle nationale, par exemple en France, le pluralisme est-il suffisamment protégé ?
Il est important de rappeler que, même si la réglementation européenne omet de traiter le pluralisme interne (diversité des locuteurs, des sujets et des opinions dans un même média), cela n’empêche pas les États, à travers leur propre législation, de le promouvoir.
Par exemple, Reporters sans frontières a engagé en 2024 un contentieux stratégique contre le refus de l’Arcom d’intervenir contre CNews, afin de faire préciser l’interprétation de la loi du 30 septembre 1986 sur le respect du pluralisme dans le paysage médiatique. En réponse, le Conseil d’État a donné raison à l’organisation, estimant que les médias ont l’obligation de mettre en œuvre, de bonne foi, les moyens nécessaires pour respecter leurs obligations en matière de pluralisme, dans le cadre de leur liberté éditoriale, et que c’est au régulateur d’évaluer si ces moyens sont effectivement appliqués.
D’autres législations nationales vont dans le même sens. En Espagne, en Suisse ou au Royaume-Uni, il existe une obligation claire de séparation entre l’opinion et l’information à l’antenne. De plus, l’obligation de transparence sur le statut des intervenants contribue indirectement à garantir le respect effectif des obligations européennes en matière de pluralisme.
Face à la montée du populisme en Europe, le pluralisme reste-t-il un outil pertinent pour défendre la qualité et l’indépendance de l’information ?
Les mouvements populistes instrumentalisent l’argument de la liberté d’expression pour s’opposer à toute régulation du pluralisme dans l’espace médiatique européen.
Pourtant, le pluralisme des médias et de l’information doit être clairement reconnu comme un outil démocratique fondamental, permettant aux citoyens, dotés de leur propre liberté d’opinion, d’exercer un libre choix — sans que les intérêts privés ou les pouvoirs publics ne puissent s’y substituer, ni que l’information devienne un simple objet de marché.
Les citoyens européens ont besoin de davantage de pluralisme pour éviter une polarisation excessive et dangereuse des opinions.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.