Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire

Gerda Taro

© Teamcolibri.org Gerda Taro
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Avec sa chronique Les femmes ou les "oublis" de l'Histoire, Juliette Raynaud explore "les silences de l'Histoire" (Michelle Perrot) et nous invite à (re)découvrir notre matrimoine oublié, une histoire après l'autre...

Vous connaissez Gerda Taro ?

Photographe de guerre et militante antifasciste, elle marqua l’histoire de la photographie en quelques mois. Elle fut tuée sur le front alors qu’elle couvrait la guerre civile espagnole au plus près des combats. Elle n’avait pas 27 ans. Ses photographies sont iconiques.

Espagne, 1937.

Gerda a une idée en tête : couvrir une victoire de l’armée républicaine.

Elle est la première à le faire. Le 22 juillet, Regards publie ses photos : des combattants républicains peignant sur un mur une faucille et un marteau après avoir barré le dessin du faisceau de flèches et le slogan franquistes « Arriba España! ».

Le reportage est signé Gerda Taro. C’est sous cette identité qu’elle couvre, au plus près des combats, la guerre civile en Espagne déclenchée par l’insurrection des troupes nationalistes du général Franco contre le gouvernement républicain élu.

Capturer les regards des combattants et combattantes de l’armée républicaine, la préparation, la concentration, la fatigue, la violence des soldats de Franco, les dégâts causés dans les villages, la violence subie par les populations… la victoire aussi. La victoire de la République sur les fascistes. C’est pour cela qu’elle est venue en Espagne. Pour y être. Pour en être. Pour nous montrer. C’est sa contribution à la lutte antifasciste.

Elle prévoit de repartir à Paris – où elle s’est installée après avoir fui l’Allemagne nazie en 1933 – le 26 juillet et annonce à ses camarades une grande fête pour la veille, histoire de dire au revoir et de fêter en avance, ensemble, ses 27 ans.

Le 25 juillet, tôt le matin, Gerda demande à son ami Ted Allan, le commissaire politique de l’unité médicale du docteur canadien Norman Bethune, de l’accompagner pour une dernière excursion sur la ligne de front de Brunete, près de Madrid. Elle a trouvé une voiture et un chauffeur français. Arrivées au PC du général Walter, celui-ci leur ordonne de repartir sur le champ : l’assaut franquiste peut intervenir d’une minute à l’autre.

Gerda reste. Ted aussi.

Elle épuise sa provision de pellicule depuis la tranchée où elle est tapie. Elle tient  son meilleur reportage et le livrera à Paris dès demain. Les rafales de mitrailleuse,les bombes, les obus se rapprochent. Elle voit refluer les premières lignes républicaines en débandade. Sur la route, c’est la confusion ; corps morts et blessés jonchent le sol, fuyards et véhicules se chevauchent. Elle monte sur le marche pied de la voiture du général Walter affectée au transport des blessés à Madrid. Un char républicain de fabrication russe échappe au contrôle de son conducteur et la prend en écharpe. Un hurlement. Gerda, éventrée, gît dans un fossé.

Elle est amenée à l’hôpital de l’Escurial, où on la transfuse et lui donne de la morphine. « Est-ce que mes appareils sont bien là ? Est-ce qu’ils sont cassés ? »…

Elle succombe à ses blessures le lendemain.

Encore une fois, elle est la première. La première femme photo reporter à mourir au travail.

L’émotion internationale suscitée par la mort de la jeune photographe ne l’empêche pas de tomber dans l’oubli.

70 ans plus tard, en 2007, des milliers de négatifs sont retrouvés dans une valise, « la valise mexicaine ». Entre-temps, une grande partie de ses photographies a été attribuée à son compagnon, Robert Capa.

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