Astroturfing, bulles de filtre, biais cognitifs, fake news, drumbeat, manipulation des images, propagande… Tous ces termes relatifs à la guerre de l'information seront chaque semaine décryptés, mis en relief, sur euradio, pendant cinq minutes, pour donner des clefs de compréhension à tous ceux qui sont perdus dans la jungle de la désinformation.
Bonjour Louise ! La semaine dernière, vous avez clôturé votre chronique sur les algorithmes en nous parlant de TikTok qui a fait l’actualité ces dernières semaines ? De quoi parliez vous exactement ?
Et oui, une actualité un peu sombre d’ailleurs. TikTok a été assigné en justice début novembre par sept familles françaises, à travers le collectif Algos Victima, à cause des défauts de son algorithme dont je vous parlais la semaine dernière.
Vous faites référence aux bulles de filtre et au biais de négativité ?
Tout à fait. Les familles reprochent ici au réseau social d’avoir trop exposé leurs enfants à des contenus faisant la promotion du suicide, de l’automutilation ou encore des troubles alimentaires. Et malheureusement, c’est un fait : TikTok a créé un algorithme qui pousse les vidéos à l’infini, addictives, qui enferment les utilisateurs dans des contenus qui sont toujours les mêmes, en les amplifiant, les exagérant. Je parlais de bulles de filtres la semaine dernière, qui nous enferment dans les mêmes contenus, les mêmes croyances. Pour TikTok, on parle même de « Rabbit Hole ». Or cela ne concerne pas que la désinformation, ce processus a aussi un impact terrible pour la santé mentale, et surtout chez les jeunes utilisateurs. Dans le cas de ces familles qui ont porté plainte, deux adolescentes de 15 ans se sont suicidées. Elles étaient victimes de harcèlement scolaire, elles ont liké des contenus liés à leurs mal-être sur TikTok, et ont été rapidement enfermées dans des vidéos sur ce sujet, ce qui aurait entraîné le drame que l’on connait.
Est-ce vraiment possible de faire le lien entre le suicide de ces adolescentes et le réseau social ? Le lien de cause à effet me semble compliqué à prouver
C’est vrai. Mais il commence à y avoir beaucoup d’études sur le sujet, qui permet de le prouver de manière empirique. Début novembre, François Saltiel sur France Culture rappelait dans une de ses chroniques que des chercheurs avaient créé de faux profils d’adolescents de 13 ans en Amérique du nord, en Australie, et au Royaume Uni, affichant des vulnérabilités de leurs âges, dont troubles alimentaires. Ils ont mobilisé ces comptes en likant des vidéos au contenu négatif ou anxiogène, et seulement quelques minutes après, l’algorithme leur recommandait des vidéos relatives au suicide… D’autres études comme celles-ci existent. Amnesty a par exemple publié un rapport au début de cette année qui donnait la même conclusion terrible sur la spirale violente de l’algorithme de Tiktok, je vous invite à la lire.
C’est effrayant si tout ça est vrai…
Oui. Je pourrai reprendre les mots d’une des mamans, qui disait exactement ceci à propos de sa fille : "L'algorithme a capté le style de ses recherches, et lui a proposé d’autres contenus, qui ont été de pire en pire, sur la dépression, ou encore les scarifications. TikTok a amplifié son malaise, à force de l’abreuver de contenus que les ados de son âge ne devraient jamais voir."
D’accord je comprends. Et j’imagine bien où vous voulez en venir Louise. L’algorithme de TikTok et ses effets sur la santé mentale – jusqu’à mener à des suicides, permet de prouver la puissance des algorithmes, et donc d’imaginer les conséquences dans le cadre de la désinformation.
C’est tout à fait ça. Les conséquences dans le champ réel de Tiktok vont ici jusqu’au suicide. Dans le cadre de la désinformation, cela peut aussi avoir des conséquences dans le champ physique. Je peux prendre l’exemple du Mali. Pendant des années, la désinformation sur les réseaux a amplifié le sentiment anti-français, avec un drumbeat, un bruit de fond, qui a finalement mené au départ des troupes françaises, puis du départ des troupes de l’ONU. Aujourd’hui, le pays est livré à lui-même et aux milices de Wagner, ça représente un coût pour le Mali de 9 millions d’euros par mois et une hausse considérable de la menace terroriste. Et les conséquences physiques sont dramatiques pour les populations. Vous pouvez écouter notre épisode de la Jungle des Miroirs qui s’appelle « Drumbeat » qui explique mieux comment la désinformation russe en Afrique a mené à ça.
Par ailleurs, nous avons dédié un épisode entier au réseau TikTok, qui sortira en décembre. On va plus loin dans l’analyse, on parle de la « militarisation des cerveaux » car TikTok nous fait entrer dans le champ cognitif, une guerre dans laquelle ce sont nos esprits, nos capacités de prise de décision qui sont attaquées par ces vidéos sans fin, cette spirale de contenus choisis par ces algorithmes qui ne nous veulent pas que du bien.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.