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Cette semaine, avec Marc Tempelman, nous parlons de quelques décisions majeures récentes qui vont obliger les grands groupes pétroliers à devenir beaucoup plus éco-responsables.
Oui, c’est bien ça. Par coïncidence, dans la même semaine les sociétés Shell et Exxon ont connu des bouleversements majeurs et surprenants qui vont les obliger à verdir leurs activités polluantes plus et plus vite. Ces décisions vont sans doute avoir un impact majeur sur la totalité de cette industrie, souvent pointée du doigt dans le débat autour de la transition énergétique.
Commençons peut-être par ce procès historique intenté par des associations écologiques contre Shell.
Dans les faits, le 26 mai 2021, la juge Larisa Alwin de la cour de La Haye a ordonné la Royal Dutch Shell, un des mastodontes de l’industrie du pétrole, de réduire son empreinte carbone de 45% par rapport à 2019 avant 2030.
Pour rappel, Shell n’était pas aveugle au sujet de la transition énergétique. Mais elle avait toujours répété que les objectifs des Accords de Paris étaient trop ambitieux et qu’elle visait donc une réduction de 20% de ses volumes d’émission de CO2.
Le verdict est clair, la cour impose à Shell d’accélérer considérablement sa transition, et lui impose de changer de stratégie.
Ce qui est véritablement révolutionnaire dans cette affaire sont les arguments juridiques avancés par les associations écologiques. Si j’ai bien compris, elles ont évoqué les Droits de L’Homme pour attaquer le géant industriel ?
Exactement. Plutôt que de réclamer des dommages et intérêts pour des actes polluants que Shell aurait pu commettre dans le passé, ces associations – et, au passage, plus de dix-sept mille plaignants individuels ont raisonné par rapport au futur. Leur raisonnement était le suivant : en refusant de d’évoluer vers les énergies renouvelables, et en s’obstinant à se concentrer sur les hydrocarbures, Shell met délibérément en danger les générations actuelles et futures. En ce faisant, légalement, Shell ne respecte pas la norme de prudence du Code Civil néerlandais, ni le second article de la Convention européenne des Droits de l’Homme.
Shell fera appel du verdict, mais le précédent juridique a maintenant été établi. Il favorisera sans doute d’autres procès climatologiques de ce type.
Et au moment, mais de l’autre côté de l’Atlantique, la direction générale d’Exxon s’est fait épingler sur le même sujet. Mais cette fois-ci par ses propres actionnaires. C’est bien ça ?
Tout à fait. Depuis des mois déjà un modeste fonds d’investissement appelé Engine No 1, a publiquement proposé au management d’Exxon d'accélérer sa transition énergétique vers des énergies renouvelables. Engine No. 1 est convaincu qu’à terme, la stratégie actuelle, fondée sur l’énergie fossile sera perdante. Selon Engine No 1, pour maximiser les profits futurs Exxon doit changer de modèle et pivoter vers les énergies propres.
Mais Engine No 1 n’a investi que 54 millions de dollars dans Exxon, dont la capitalisation boursière dépasse les 248 milliards de dollars. La direction de la société pétrolière n’a donc nullement besoin, ni envie, d’écouter ce “petit porteur”.
Alors comment ce modeste actionnaire d’Exxon a-t-il pu imposer ses vues ?
Engine No 1 commence alors un lobbying intensif des grands investisseurs institutionnels d’Exxon. Et arrive, dans un premier temps, à faire ajouter une résolution à l’agenda de l’assemblée générale des actionnaires, dans laquelle il suggère de modifier la composition du conseil de surveillance de la société. Il propose d’y ajouter 4 nouveaux membres, sélectionnés par lui, et connus pour leurs expertises en matière d’énergies renouvelables.
Le mouvement initié par Engine No 1 prends de l’ampleur, et à la surprise générale, sa résolution est adoptée à la majorité lors du vote à l’AG, contre l’avis de la direction générale. Qui n’a plus qu’accepter l’arrivée de ces nouveaux membres à son Conseil de Surveillance.
Rien de tel pour motiver les dirigeants d’Exxon que de réfléchir à des stratégies nouvelles s’ils tiennent à leur poste. Ce qui est remarquable dans cette affaire c’est que c’est un petit actionnaire qui a pu provoquer tout cela.
Absolument. Pour nous, c’est bien ça le point clé à souligner. Nous savons tous que la lutte contre le réchauffement climatique est un enjeu majeur pour la planète, et nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir apporter notre pierre à l’édifice. En prenant le vélo plutôt que la voiture, en triant nos déchets, en consommant local.
Mais notre épargne est un moyen potentiellement plus puissant pour avoir un impact en la matière. Car ce que vient de démontrer Engine No 1 c’est qu’en étant actionnaire d’une société polluante, on un droit de vote qui permet à l’investisseur de faire entendre sa voix. Il peut forcer le changement de l’intérieur.
Et soyons clairs, Engine No 1 a sans doute des convictions fortes en matière d’écologie, mais il s’agit d’un fonds d’investissement tout ce qu’il y a de plus capitaliste. Par leurs démarches activistes, ils cherchent avant tout à maximiser le rendement de leurs placements. Engine No 1 pense que rentabilité financière et investissement responsable peuvent aller de pair. Tout comme Cashbee d’ailleurs.
Laurence Aubron - Marc Tempelman
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Image par Harry Stilianou de Pixabay