Ils sont fous ces anglais ! L'édito de Marc Tempelman du 5 octobre 2022
Cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee. Nous discutons toutes les semaines de finance. Et aujourd'hui retour sur la crise financière dans laquelle le gouvernement anglais a plongé la Grande Bretagne en seulement quelques jours.
Certains parlementaires britanniques, conservateurs et donc du même parti que Liz Truss, la nouvelle Première Ministre, ont parlé de total shitshow, ou véritable merdier. Le magazine très respecté The Economist l’a décrit comme un exemple parfait de comment il ne faut pas diriger un pays.
C’est vrai que la semaine a été très agitée Outre-Manche. Revenons sur les faits. Cela commence par l’annonce d’un mini budget par le nouveau Chancelier, n’est-ce pas ?
En effet, le vendredi 23 septembre, Kwasi Kwarteng, qui a été depuis surnommé KamiKwasi, annonce un budget jugé totalement irréaliste. Il annonce notamment des baisses d’impôts sur les revenus des plus riches et un plafond de protection sur les prix de l’énergie pour les ménages. Ces mesures coûteront des dizaines de milliards de livres au Royaume-Uni. Que le chancelier de l’Échiquier propose tout simplement d’ajouter à la dette du pays.
Et je suppose que c’est ce budget, jugé irresponsable, qui a créé de vives inquiétudes parmi les investisseurs.
Tout à fait. Les réductions d’impôt vont stimuler la consommation et donc l’inflation. Je vous rappelle que celle-ci est déjà supérieure à 10%. Mais c’est surtout l’accroissement significatif de la dette publique qui a mis le feu au poudre. En effet, le Royaume-Uni est déjà très endetté, et les investisseurs craignent une envolée des taux longs. Car pour s’endetter plus, le pays aura besoin d’émettre beaucoup plus d’obligations étatiques. Qu’il va falloir vendre à tout prix.
Donc dans les faits, cela se traduit par quels effets, sur la devise et les taux d’intérêt ?
Devant autant d’incertitudes, les investisseurs ont logiquement massivement vendu les obligations d’Etat britannique (les Gilts) et la Livre Sterling, au profit d’autres devises. Pour la livre, c’est simple, elle est tombée à son plus bas historique contre le US Dollar.
Sur le marché obligataire, la chute est tout aussi spectaculaire. Craignant un afflux massif de Gilts dans les mois à venir, les investisseurs ont vendu leurs positions. Ces ventes ont mécaniquement poussé les taux à la hausse. Prenons le rendement du Gilt à 30 ans par exemple. En quelques jours, son rendement explose, et passe de 3,74% à 5,10% !
Pourquoi la Banque d’Angleterre est-elle intervenue ? Il s’agit d’une crise financière certes, mais est-ce bien son rôle de venir défendre un budget mal ficelé du gouvernement ?
Vous avez raison. La Banque d’Angleterre est indépendante. Mais elle doit veiller à la stabilité financière du pays. Or celle-ci était bien à risque. Car, sans rentrer dans trop de détails techniques, la hausse brutale et significative des taux longs a impacté les fonds de pension britanniques. Dont la solvabilité était de plus en plus à risque. La Banque d’Angleterre a estimé que la situation pouvait provoquer une instabilité financière majeure, justifiant son intervention, afin de stabiliser les marchés financiers.
Elle agit alors avec détermination. Elle suspend immédiatement la vente régulière de Gilts et annonce qu’elle achètera pour 5 milliards de Livres par jour de Gilts pendant 13 jours consécutifs, dépensant donc 65 milliards de Livres pour stabiliser les marchés.
L’intervention a-t-elle fonctionné ?
Oui du point de vue de la banque centrale. La livre rebondit immédiatement de 1,4% à plus de 1,08 contre le Dollar et continuera de récupérer ses pertes essuyées contre le Dollar et l’Euro. Les rendements sur les Gilts long chutent : le Gilt à 30 ans retombe ainsi sous les 4%. Mais le gouvernement est en crise. Il a perdu énormément de crédibilité. Et pour paraphraser The Economist, si le nouveau gouvernement arrive à faire dévisser les marchés financiers en quelques semaines, imaginez donc ce qu’il pourrait faire en quelques mois...