Nous accueillons Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee. Nous discutons toutes les semaines de finance. Bonjour Marc, de quoi allons-nous parler aujourd’hui ?
La finance attire énormément de start-ups qui essaient de changer un ou plusieurs aspects du monde bancaire traditionnel. Dans le crédit à la consommation un concept en particulier a connu un très grand succès. C’est celui du “Buy Now, Pay Later”, ou “Achetez maintenant, payez plus tard” en français. Et comme Apple vient d’annoncer qu’il allait se lancer dans la bataille, je pensais qu’il était opportun d’en parler.
Alors commençons par le début. Le Buy Now, Pay Later, comment ça marche ?
L’idée de départ est aussi simple qu’elle est ingénieuse. Des fintechs comme Affirm aux États-Unis ou encore le suédois Klarna, donnent à des consommateurs la possibilité de régler leurs achats en ligne en plusieurs fois, sans frais, sur une période allant de quelques semaines à quelques mois.
Ce modèle a bénéficié de l’adoption de plus en plus grande des achats en ligne et a véritablement explosé durant la crise du Covid. Pendant les différentes périodes de confinement, le shopping en ligne a atteint des niveaux records.
Je veux bien comprendre que la proposition d’acheter maintenant, mais de payer plus tard soit alléchante, surtout si c’est sans frais. Mais comment ces fintechs gagnent leurs vies ?
Principalement de deux façons. D’abord, parce qu’elles négocient une commission auprès des marchands dont les biens sont vendus avec ce service associé. Prenons un site d’articles de mode. Le vendeur de vêtements va payer au spécialiste du Buy Now, Pay Later, quelques pourcents de tout achat pour lequel le consommateur choisit de payer plus tard. C’est une proposition attractive pour le marchand, qui n’aurait peut-être pas réalisé cette vente, sans cette fonctionnalité.
Ensuite, si le consommateur rate ses échéances et ne règle pas son achat à la date convenu, des pénalités de retard lui seront facturées. Et ces pénalités sont sévères et contribuent aux revenus de la fintech spécialiste en paiements fractionnés.
Sur papier, un modèle d’affaires plutôt robuste et une offre séduisante, mais je sens qu’il y a un mais …
Il y en a plusieurs. Tout d’abord, pour être rentable, il faut que les revenus générés par les commissions versées par les marchands, et les frais de pénalités ensemble soient supérieurs aux défauts. En effet, il arrive que des utilisateurs du service “Achetez maintenant, payez plus tard” n’arrivent pas à régler leurs achats. Dans ce scénario, la perte est pour l’intermédiaire, puisque le marchand, lui, avait été payé par la fintech au moment de la vente.
Or, avec la détérioration des conditions économiques, les consommateurs ont commencé à se serrer la ceinture. Ils dépensent moins. Statistiquement, ils ont donc moins recours aux Buy Now, Pay Later.
Pire, pour les mêmes raisons, le pourcentage de défauts est en constante augmentation. Chez Klarna par exemple, il a atteint 1,9% du total des avances faites aux consommateurs. Il ronge ainsi un tiers des revenus de la société. Ce phénomène risque de s’empirer dans les mois à venir, avec l’envolée de l’inflation. N’oublions pas que ce sont notamment les consommateurs les plus fragiles financièrement qui ont recours à ce système de crédit à la consommation.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit. C’est une forme innovante de crédit à la consommation n’est-ce pas ?
Exactement. Et c’est un sujet de débat supplémentaire. Comme ce secteur n’est pas aussi strictement régulé que le secteur bancaire par exemple, il est difficile d’en mesurer l’impact sur la société plus largement. Le service “achetez maintenant, payez plus tard” est-il un outil digital utile pour faciliter la gestion budgétaire de chacun, ou est-il conçu pour pousser à la consommation, avec le risque de faire tomber un nombre grandissant de consommateurs dans le surendettement ?
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Marc Tempelman au micro de Laurence Aubron