Chaque semaine sur euradio, retrouvez Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee, qui traite les sujets et les actualités de la finance.
Nous accueillons Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee. Nous discutons toutes les semaines de finance. Marc, de quoi allons-nous parler aujourd’hui ?
On parle beaucoup aujourd’hui des ultra-fortunés et je pensais qu’il était intéressant de se pencher sur leur façon de vivre, qui est en train de changer le monde du luxe et même ce que l’on entend par ce qui est le luxe, le vrai.
Autrement dit, j’aimerais vous parler d’un virage discret mais profond : les ultra-riches, autrefois fous de voitures de collection, de montres rares ou de grands crus, délaissent peu à peu les objets pour se tourner vers… les expériences.
Pourriez-vous nous donner quelques exemples concrets de cette évolution ?
Bien sûr. Prenons un symbole : le Château d’Yquem, ce vin français mythique vendu parfois plusieurs milliers d’euros la bouteille. Pendant des décennies, sa valeur ne faisait qu’augmenter. Entre 2015 et 2023, les prix ont bondi de près de 60 %. Et ce n’était pas un cas isolé. Les montres de luxe, les tableaux de maîtres, les voitures, affichaient eux aussi des hausses spectaculaires.
Mais voilà qu’en primeur, le prix de grands crus bordelais, comme Lafite Rothschild ou Margaux, ont baissé de 20% environ en deux ans. En seconde main, les Rolex ont baissé de 30% depuis 2022. Aux US, le prix des jets privés a décliné de 6%.
Et pourtant, ce n’est pas comme si le nombre de milliardaires avait baissé ou qu’ils s’étaient brutalement et collectivement appauvris. Comment expliquer ce phénomène ?
Vous avez raison, c’est plutôt le contraire, le nombre de milliardaires ne cesse de croître et l’explosion de l’intelligence artificielle crée de nouveaux millionnaires quotidiennement dans la Silicon Valley.
Pour expliquer la baisse des prix de certains biens prestigieux, il faut donc chercher ailleurs. Pour les grands vins, la baisse générale de la consommation d’alcool joue sans doute un rôle par exemple. Mais le changement est plus profond que cela.
La nouvelle génération de fortunés ne se reconnaît plus dans l’accumulation. Ils préfèrent l’émotion à la possession. À leurs yeux, dîner à Copenhague chez Noma ou financer une expédition dans l’espace a plus de valeur qu’une cave remplie d’Étiquettes Rothschild !
Donc, on passe du prestige de l’avoir au prestige du vivre ?
Exactement. Le luxe d’aujourd’hui, c’est l’expérience : l’accès, la rareté du moment, la personnalisation. Les jeunes millionnaires américains, asiatiques, et européens veulent assister à la finale de Roland Garros, après s’être baignés dans la piscine du rooftop du Bristol à Paris. Or cet hôtel a moins de 200 chambres. Pas étonnant de constater qu’une chambre y coûte plus du double par rapport à 2019. De la même façon, les tickets pour Wimbledon, le Super Bowl ou le gala du Metropolitan à New York ont doublé en quelques années.
Cela veut‑il dire que les objets de collection n’ont plus la cote ?
Disons qu’ils ont moins la cote. Ils conservent une valeur patrimoniale, mais leur fonction a changé. Le marché du luxe devient plus sélectif : il récompense la qualité, l’histoire, et l’ultra-rareté, mais sanctionne la spéculation.
C’est finalement un tournant presque philosophique : les ultra‑riches se recentrent sur la dimension hédoniste de leur fortune ?
Oui, et c’est révélateur d’une remise en cause plus large : dans un monde instable, posséder moins d’objets et plus de souvenirs a une valeur émotionnelle nouvelle. Et le spécialiste ultime du luxe, un certain Bernard Arnault, a bien identifié cette tendance. Non seulement a-t-il racheté des chaînes d’hôtels de luxe, mais en plus il a lancé des hôtels Bulgari, et bientôt, Louis Vuitton pour offrir plus d’expériences rares à la clientèle des deux marques.
L’ultra luxe n’est donc pas mort mais il change de nature ?
C’est exactement ça.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.