Nous accueillons Marc Tempelman, le cofondateur de l’application d’épargne gratuite Cashbee. Nous discutons toutes les semaines de finance. Bonjour Marc, de quoi allons-nous parler aujourd’hui ?
Les économistes nous parlent régulièrement des indicateurs économiques pour justifier les variations des cours de bourse. Comme si tout le monde savait ce qu'était un indicateur économique et comment telle ou telle statistique pouvait avoir autant d’impact sur la bourse. Je pensais qu’il était temps de démystifier ce terme, en prenant un exemple concret.
Excellente idée. De quel indicateur économique allons nous parler ?
Je voulais prendre l’exemple des “non-farm payrolls”, ou ce qu’on appelle le chiffre de la création d’emplois aux États-Unis. Le dernier a été publié vendredi dernier. Le bureau des Statistiques de l’Emploi a déclaré qu’en novembre l’économie américaine avait ajouté 199 000 nouveaux emplois.
Très bien, comment faut-il interpréter cette statistique ?
Ce chiffre est publié tous les premiers vendredi du mois, et les spécialistes l’analysent typiquement en le comparant à celui du mois précédent et contre les attentes du marché. Dans le cas présent, les 199 000 emplois créés sont en forte hausse par rapport au 150 000 emplois créés en octobre et aussi supérieurs aux prévisions des économistes.
Ce qui veut dire quoi, en termes simples ?
Le nombre d’emplois créés (ou détruits d’ailleurs) donne une bonne indication sur la santé de l’économie du pays. On comprend facilement que lorsqu’une économie est en pleine croissance, de nombreuses entreprises recrutent et étoffent leurs équipes. Inversement, lorsque les commandes se ralentissent, elles ont tendance à se serrer la ceinture, voire même à dégraisser en réduisant la taille du personnel.
Dans le cas présent, la création d’emplois non seulement positive, mais en hausse par rapport au mois dernier, souligne que l’économie américaine se porte plutôt bien.
C’est plutôt une bonne nouvelle, non ? Alors pourquoi cet indicateur économique a fait chuter la bourse ainsi que le marché obligataire ?
C’est là où la compréhension de l’impact des indicateurs économiques devient pertinente. Comme évoqué, les non-farm payrolls de novembre soulignent le bon état de santé de l’économie américaine, qui se rapproche du plein emploi. Grâce aux nouveaux emplois créés, le taux de chômage est tombé à seulement 3,7%.
En conséquence, la tension sur les salaires pourrait s’accentuer. Puisqu'il devient mécaniquement plus difficile pour les entreprises de recruter. Or si les salaires montent, la consommation, déjà relativement robuste, pourrait s’accroître, ce qui donnera lieu à des pressions sur les prix des biens. L’inflation risque d’augmenter.
Or, la banque centrale, la fameuse Federal Reserve, est en plein combat contre l’inflation. Et les gouverneurs des différentes banques fédérales pourraient prendre le chiffre étonnamment élevé des créations d’emplois comme indicateur d’une inflation persistante. Qu’il devront combattre en maintenant des taux directeurs élevés, ou même en les relevant à nouveau.
Ce qui freinerait la croissance économique, et ce qui pèse donc naturellement sur les cours de bourse.
CQFD. Et ce raisonnement en plusieurs étapes se traduit en bourse par une baisse des cours et une hausse des taux. Qui s’opèrent dans les secondes qui suivent la publication du chiffre économique.
Exactement. Cela peut sembler contre-intuitif, mais dans le contexte de marché actuel, tout indicateur économique qui souligne une expansion économique plus forte qu’attendue est perçue comme pouvant faire retarder les réductions de taux d’intérêt que les investisseurs anticipent pour les premiers trimestres de 2024.
Et ces investisseurs réagissent très vite quand un indicateur économique affecte leurs anticipations.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.