Aujourd’hui, Alain Anquetil, vous allez nous parler des leçons tirées de la guerre entre l’Ukraine et la Russie.
Lors de son discours sur l’état de l’Union du 14 septembre 2022, Ursula von der Leyen a déclaré : « Une des leçons de cette guerre est quenous aurions dû écouter ceux qui connaissent Poutine » ̶ ceux qui affirmaient « depuis des années » qu’il « ne s’arrêtera[it] pas là ». Le mot « leçon » admet plusieurs sens. Au-delà de l’enseignement prodigué par un professeur ou du cours qu’un élève doit apprendre, il désigne un conseil ou la conclusion que l’on tired’une expérience ou d’un événement passés (1).
On tire toujours une leçon après coup.
Oui : la leçon dont nous parlons est venue rétrospectivement, à l’inverse de la leçon du professeur ou de celle qu’apprend un élève, qui s’inscrivent dans le présent.
Il est important de nous rappeler quela leçon que nous tirons après les faits dépend souvent de la situation dans laquelle nous nous trouvons dans le moment présent.
Lorsque la présidente de la Commission européenne déclare, en employant le conditionnel passé : « Nous aurions dû [les] écouter », elle reporte le présent dans le passé, elle imagine ce qu’elle aurait dû faire si elle avait supposé, avant que la guerre ne commence, que les faits actuels se produiraient. Comme il se trouve que ces faits avaient été, semble-t-il, anticipés par des personnes « qui connaissent le président russe », elle en tire cette leçon : « Nous aurions dû les écouter ».
C’est un peu facile à dire après non ?
L’évolution du conflit montre en effet qu’il était difficile, avant la guerre, de se fonder sur les leçons du passé pour prévoir l’avenir.
Alain Anquetil, vous pensez aux menaces russes sur l’approvisionnement de l’Europe en gaz et l’emploi de l’arme nucléaire ?
Par exemple. On peut toutefois noter que si l’on avait écouté les propos de « ceux qui connaissent le président russe », Ursula von der Leyen n’aurait pas eu besoin de tirer de leçon. Elle aurait tout de suite pris leurs avertissements comme des conseils susceptibles de guider son action, pas comme des leçons.
Pourquoi ?
Sur le moment, on ne considère pas le discours que l’on nous tient comme une leçon, plutôt comme une opinion, un avis, une recommandation ou autre.
D’abord parce que nous nous représentons une leçon comme quelque chose qui arrive en dernier lieu, à la manière des leçons des fables de La Fontaine.
Ensuite parce que nous n’aimons pas recevoir de leçons, parce qu’elles ressemblent parfois à des réprimandes et parce que nous voulons conserver notre libre-arbitre, notre pouvoir d’agir.
Si celui qui nous parle est un « donneur de leçons », il prétend dire la vérité et, de ce fait, nous priver de la maîtrise du raisonnement qui nous conduit à l’action. Un décideur, spécialement un décideur politique, veut être l’auteur de ce raisonnement, c’est-à-dire partir des faits, invoquer des principes normatifs ou des valeurs et en déduire une conclusion qui conduira directement à l’action.
Apparemment, ce n’est pas parce que « ceux qui connaissent Poutine » se seraient comportés comme des donneurs de leçons que les dirigeants européens ne les ont pas assez écoutés. C’est pour d’autres raisons, liées sans doute aux croyances de ces dirigeants et à la difficulté de les mettre en cause.
C’est une autre histoire, mais on peut avancer que, parfois, quand on abandonne une croyance (par exemple sur les intentions de tel dirigeant politique), c’est bien parce qu’on a, par ailleurs, tiré des leçons.
(1) Un autre sens, proche de la lecture, est celui d’un texte lu (le mot vient du latin lectio qui signifie « lecture ») ou, en philologie, « chacune des variantes d’un même texte offertes par les différents manuscrits, les différentes éditions » (Dictionnaire de l’Académie française, 9ème édition).