C'est nouveau sur euradio ! Nous accueillerons désormais chaque semaine Alain Anquetil, professeur de philosophie morale à l’ESSCA Ecole de Management, pour une chronique de philosophie pratique.
Pour cette première chronique, il nous parle de la pratique des voeux de bonne année.
Oui, d’ailleurs je vous souhaite une bonne année 2021, ainsi qu’à tous vos auditeurs, et j’ajoute que je suis ravi de pouvoir présenter sur Euradio une petite chronique philosophique hebdomadaire.
Je vais donc commencer par la pratique des vœux, en prenant comme exemple la phrase : « Je vous souhaite une bonne année ».
C’est un souhait sans risque, un peu banal, presque une façon de parler. On prendrait plus de risque en souhaitant à quelqu’un, par exemple, de passer une année philosophique. Car il faudrait alors lui expliquer ce qu’est une vie de philosophe. Il est plus sage de s’en tenir à la tournure familière : « Je vous souhaite une bonne année ».
Mais ce qui compte, c’est peut-être le souhait, plutôt que ce que l’on souhaite.
C’est vrai, et puis la locution « bonne année » a l’avantage d’être simple et comprise par tout le monde. Mais je crois qu’on peut en tirer beaucoup de choses.
Par exemple, quand je vous souhaite une bonne année, je veux dire que c’est vous qui décidez du sens que vous donnez au contenu du souhait. La « bonne année » dépend de vous. Pas de ce que pensent votre famille, vos amis, vos collègues de travail ou l’Etat. C’est un souhait qui écarte tout paternalisme, toute ingérence dans votre conception de ce qu’est une vie bonne.
Mais passer une « bonne année » ne dépend pas que de soi. Il faut pouvoir accomplir ce que l’on désire.
S’il s’agit de réaliser votre conception de la vie bonne, vous devez en avoir les moyens, en effet. L’Etat doit vous apporter des ressources minimales, intellectuelles et matérielles, pour vous permettre de choisir la vie que vous souhaitez mener.
Vous avez employé le verbe « accomplir » à propos des désirs. Mais ce verbe renvoie aussi à l’accomplissement des capacités humaines, à la réalisation de nos talents, qui sont des composantes de la vie bonne.
Vous parlez de « vie bonne », mais ce n’est pas nécessairement ce à quoi l’on pense quand on souhaite une bonne année. On veut simplement souhaiter une bonne santé, la réussite ou la prospérité…
Oui, d’ailleurs, on n’utilise pas toujours « bonne année » pour formuler des vœux : les locutions « belle année » et « excellente année » font aussi l’affaire, et elles sont plus neutres.
Mais il y a au moins deux choses qui, dans « bonne année », ont un rapport avec l’idée de vie bonne. La première est que l’expression invite à prendre du recul, à considérer d’un point de vue extérieur la manière dont nous conduisons notre existence. Le philosophe Charles Larmore affirmait avec raison qu’« au lieu de [seulement] vivre notre vie du dedans, nous avons la capacité de prendre du recul et de nous regarder du dehors, à la troisième personne, comme un individu quelconque parmi d’autres dans un monde qui va son train indépendamment de nos soucis et de nos intérêts » (1).
Il y a une deuxième chose : « bonne année » ne se réfère pas à la notion de rôle. Le président de la République peut adresser ses vœux aux forces de sécurité ou à d’autres corps de métier, mais ce sont des vœux de rôle à rôle. En pratique, cependant, les vœux circulent plutôt de personne à personne. Nous souhaitons une bonne année sans nous référer aux rôles que joue le bénéficiaire de nos vœux. Il s’agit à nouveau de prendre du recul, comme si l’on voulait dire : « Je te souhaite une bonne année, et ce n’est pas aux rôles que tu joues que je m’adresse, mais à toi ». C’est un fait notable, je crois, car parler à une personne en tant que telle, indépendamment de ses rôles, ce n’est pas si fréquent.
(1) C. Larmore, « Réflexions sur l’idée de devoirs moraux envers soi-même », Raison publique, 22(2), 2017, p. 41-50.
crédits photo: mahesh kumar
Interview réalisée par Laurence Aubron
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