Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
La France traverse une crise politique majeure. Comment cette situation est-elle perçue à l’étranger ?
La perception extérieure est sans appel : la France inquiète et fatigue ses partenaires. En Allemagne, on parle d’un pays « en chaos permanent ». Der Spiegel évoque même une France où « les gouvernements passent, le chaos demeure ». La Frankfurter Allgemeine Zeitung va plus loin : elle rappelle que la France, deuxième économie de la zone euro, est aujourd’hui moins bien notée que la Grèce ou l’Italie. Et pour beaucoup d’observateurs allemands, cela traduit une vérité simple : quand Paris dysfonctionne, c’est toute l’Europe qui vacille.
Cette inquiétude est-elle partagée ailleurs en Europe ?
Oui, largement. En Espagne, El Mundo critique un président qui « s’est tourné vers la politique étrangère » au moment même où son pays sombrait dans l’instabilité. La Vanguardia parle d’une « manœuvre qui a semé la confusion ». En Italie, la presse se délecte du renversement de situation : le Tempo parle d’un « gouvernement de baignade », une expression utilisée autrefois pour les exécutifs italiens éphémères — comme si la France était devenue, à son tour, l’Italie d’hier. Même le Politiken danois reste lucide : Macron est certes responsable du chaos, mais « son départ ne changerait rien ». C’est la culture politique française, dit le quotidien, qui doit évoluer vers plus de coopération et moins de verticalité.
Et du côté anglo-saxon, comment cette crise est-elle interprétée ?
Avec une ironie mêlée d’inquiétude. The Independent parle de « farce en France » et compare la situation à une mauvaise série. The Times évoque « un canard boiteux à court d’options ». Mais c’est la presse américaine qui est la plus sévère. Le Wall Street Journal décrit le poste de Premier ministre comme « le pire emploi du monde », et le New York Times parle d’« un assortiment d’options toutes imparfaites ». En clair, les observateurs estiment que la France s’est enfermée dans un système institutionnel rigide, incapable de produire des majorités stables — un contraste total avec le leadership européen que Paris revendique encore sur la scène internationale.
Justement, quelles sont les conséquences de cette crise pour l’influence française en Europe ?
Elles sont considérables. Sur le plan politique, Paris perd en crédibilité. La France était moteur sur plusieurs dossiers européens : la coalition des volontaires pour l’Ukraine, la réforme du pacte de stabilité, la relance de l’Europe de la défense. Mais quand le pays paraît ingouvernable, il devient difficile d’incarner la stabilité européenne. L’Ukraine l’a bien compris : Socportal, un média de Kyiv, parle d’une « France fragilisée » dont la crise profite directement à la Russie. Moscou observe et se réjouit. Et cette fragilité française complique la transformation de la coalition pro-ukrainienne en une alliance durable. Enfin, la presse belge ou grecque souligne la perte de repères : Naftemporiki compare Emmanuel Macron non plus à Zeus mais à Néron — un symbole fort d’un pouvoir perçu comme isolé et impuissant.
Au-delà de l’image, cette crise menace-t-elle concrètement la position de la France dans l’Union européenne ?
Oui, parce qu’elle remet en cause la capacité de la France à peser sur les grands équilibres économiques européens. Politico Europe le dit clairement : sans réformes et sans stabilité budgétaire, les marchés finiront par « planter leurs lames dans la deuxième économie de l’UE ». La situation devient paradoxale : la France, longtemps moteur politique de l’intégration européenne, est aujourd’hui perçue comme un facteur de risque. Cela nourrit les doutes, notamment à Berlin, sur la viabilité du couple franco-allemand. Et pendant que Paris se replie sur ses turbulences internes, d’autres capitales — Berlin, Varsovie, Rome ou Madrid — avancent leurs pions.
Alors, que peut-on attendre pour la suite ?
L’Europe attend un signal. La France reste une puissance centrale : sans elle, pas de défense européenne, pas de relance économique coordonnée, pas de souveraineté technologique. Mais aujourd’hui, elle donne l’image d’un pays épuisé par ses propres contradictions. Comme l’a écrit la journaliste allemande Martina Meister, « la culture du compromis ne s’impose pas, elle s’apprend ». C’est sans doute la leçon du moment : si la France veut redevenir crédible, elle doit réapprendre le compromis — d’abord chez elle, avant de prétendre l’enseigner aux autres. C’est un peu l’objet du discours de politique générale prononcé mardi par le Premier ministre Sebastien Lecornu. Avec la suspension de la réforme des retraites, le gouvernement évite la censure immédiate et éloigne la perspective d’une nouvelle dissolution. C’est déjà un point positif. Espérons que les parlementaires sauront saisir cette opportunité pour montrer aux Français et aux Européens qu’ils sont capables de négocier et de s’entendre dans l’intérêt général.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.