L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

La boussole pour la compétitivité de l’UE : poudre aux yeux ou pas de géant ?

© Jean-Pierre Bazard - Wikimedia Commons La boussole pour la compétitivité de l’UE : poudre aux yeux ou pas de géant ?
© Jean-Pierre Bazard - Wikimedia Commons

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Alors que le Président américain annonce une augmentation des droits de douanes, la Commission européenne a présenté sa boussole pour la compétitivité. Est-ce de la poudre aux yeux ou une réponse adéquate ?

Il est indéniable que la Commission européenne a enfin pris la mesure des enjeux. La compétitivité de l'Europe est en déclin face aux États-Unis et à la Chine, et il était urgent de poser une stratégie claire. Cette boussole propose une feuille de route ambitieuse, articulée autour de l'innovation, de la décarbonation et de la sécurité économique. Cependant, sa réussite dépendra de sa mise en œuvre concrète et surtout des moyens financiers qui seront mobilisés.

Le rapport de Mario Draghi évaluait à 800 milliards d'euros par an les besoins d'investissement pour relancer la compétitivité européenne. Pensez-vous que l'UE est prête à réunir une telle somme ?

C'est là que le bât blesse. Ursula von der Leyen a écarté l'idée d'un financement commun des États membres, et le fonds de compétitivité envisagé ne verra le jour qu'en 2028, sans détail sur son montant ou ses sources de financement. Or, l'Europe a besoin d'investissements massifs dès aujourd'hui. Le rôle du secteur privé sera crucial, mais les incitations à l'investissement doivent être clarifiées et renforcées. Pour l’instant, sans financement associé, la boussole pour la compétitivité reste de l’ordre du déclaratif…

L'Europe semble toujours en réaction plutôt qu'en action face aux politiques industrielles agressives des États-Unis et de la Chine. La boussole change-t-elle la donne ?

Elle marque un tournant, du moins en théorie. Le fait que la Commission envisage une "préférence européenne" pour certains secteurs stratégiques est un signal fort. Ça fait longtemps qu’on l’attendait. Mais nous sommes encore loin d'une véritable stratégie industrielle européenne capable de rivaliser avec l'Inflation Reduction Act américain ou le soutien massif de l'État chinois à ses industries. L'UE doit passer d'une réglementation réactive à une politique industrielle offensive. Et nous devons le faire en trouvant notre propre voie, entre un néoprotectionnisme qui ne correspond pas à nos valeurs, et une confiance naïve dans l’économie néolibérale. Une troisième voie proprement européenne est possible. La Boussole est une ébauche de cette troisième voie, mais elle n’est pas adossée à une stratégie de financement clair.

Mais on dit souvent que l'Europe devrait adopter une politique plus protectionniste pour défendre ses industries ?

Le mot "protectionnisme" a longtemps été tabou en Europe, mais la réalité est que tous nos partenaires – les États-Unis, la Chine, l'Inde – protègent leurs industries stratégiques. Il ne s'agit pas de fermer nos marchés, mais de nous donner les moyens de soutenir nos entreprises dans des secteurs clés comme l'IA, les semi-conducteurs et l'énergie propre. La boussole propose des actions en ce sens, mais il faudra plus de volonté politique pour assumer pleinement cette approche.

Au final, la boussole pour la compétitivité est-elle un vrai pas de géant ou un simple effet d'annonce ?

C'est un premier pas nécessaire, mais pas suffisant. Sans une accélération de la mise en œuvre et des moyens financiers clairs, elle risque de rester un exercice théorique. Le monde n'attend pas l'Europe : si nous voulons être un acteur de premier plan, nous devons investir massivement, simplifier nos règles et adopter une stratégie plus assertive. L'Europe a-t-elle la volonté de changer la donne ? C'est la vraie question. Et la réponse ne dépend pas de la Commission, elle dépend des 27 Chefs d’états et de gouvernements qui peinent encore, malgré l'urgence de la situation, à se mettre d’accord. Les blocages sont donc avant tout des blocages politiques. Les responsables politiques européens ne prennent pas leurs responsabilités en continuant de jouer la carte « nationale » au détriment de la solidarité européenne. Ils font comme si nous avions encore le choix. Or, ça fait longtemps que nous ne l’avons plus. Notre survie, celle de nos valeurs, de nos modèles politiques, économiques, sociaux, de nos spécificités culturelles, tout cela dépend uniquement d’une solidarité européenne renforcée. Tous ceux qui pensent le contraire se trompent et sont en train de commettre une faute historique.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.