L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Elon Musk et l’« Internationale illibérale »

© Steve Jurvetson - Wikimedia Commons Elon Musk et l’« Internationale illibérale »
© Steve Jurvetson - Wikimedia Commons

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Ces derniers mois Elon Musk a beaucoup fait parler de lui. Outre son influence économique, est-ce qu’il joue aussi un rôle politique en Europe ?

Oui et pas qu’un peu. Son influence, il l’exerce sur plusieurs fronts. Déjà, le front économique puisqu’il détient un leadership incontesté dans les industries de pointe : Tesla est leader mondial des véhicules électriques, Space X domine le secteur spatial commercial, Starlink pourrait révolutionner l’accès à Internet, notamment dans les zones rurales ou mal desservies et a joué un rôle crucial dans la guerre en Ukraine, Neuralink est pionnier dans le domaine de l’interface cerveau-machine. Son impact sur les marchés financiers aussi est colossal : chacun de ses tweets est scruté par la bourse, la capitalisation boursière de Tesla en fait l’une des entreprises les plus précieuses au monde. En termes de création d’emplois et d’investissements aussi, Elon Musk n’est pas en reste, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe d’ailleurs.

Tout ça contribue à son influence politique.

Oui, notamment puisque ses entreprises sont implantées partout, il entretient des rapports avec les chefs d’état de nombreux pays et leur parle parfois en direct. Ce qui n’a rien d’inhabituel puisque l’histoire regorge d’exemples d’hommes d’affaires très influents qui s’engagent en politique. Mais quelque chose a changé depuis qu’il soutient et qu’il a le soutien de Donald Trump : il se sent pousser des ailes sur ce front-là et il va loin, très loin.

Jusqu’à insulter des chefs d’États étrangers…

Oui. Des invectives qui ont laissé les dirigeants sans voix. En décembre, il s’en prend directement au Chancelier allemand Olaf Scholz qu’il traite d’imbécile et appelle à voter pour l’AFD, le parti d’extrême droite allemand, aux législatives anticipées de février. En janvier, c’est au tour du Premier ministre Britannique Keir Starmer d’être la cible du multi milliardaire : Musk l’accuse d’être complice d’un réseau de pédo-criminels, ce qui n’est pas sans rappeler les fake news sur le « Pizza Gate » qui ont couté l’élection à Hilary Clinton en 2016. Et rappelons qu’à l’été 2024, il s’en était pris à l’ancien Commissaire européen, Thierry Breton, qui avait eu le malheur de lui rappeler les règlementations européennes en matière de protection des données.

Maintenant qu’il occupe un poste dans l’Administration Trump, ce genre de déclarations s’apparentent très clairement à de l’ingérence dans les affaires internes d’un pays étranger ?

Oui mais ingérence ou pas, difficile pour les chefs d’état européens de répliquer. Elon Musk sait que son influence économique le protège d’une certaine manière. En acquérant le réseau social Twitter et en supprimant toutes les règles de modération de la plateforme, il s’est acheté par la même occasion une formidable caisse de résonance et ne se prive pas de diffuser des idées complotistes, pour saper un peu plus encore la confiance des citoyens dans leurs dirigeants.

Pourquoi fait-il tout ça, quel est son objectif ?

Elon Musk est une personnalité complexe. Il garde un souvenir traumatique de la fin de l’Apartheid en Afrique du Sud, où il a grandi. Il est ce qu’on appelle un « libertarien », c’est-à-dire qu’il souhaite réduire le plus possible l’influence de l’État, et donc réduire les règlementations. Mais il n’a pas toujours été conservateur. Il a longtemps soutenu les démocrates. Puis, il s’est rapproché récemment de Donald Trump et a multiplié les contacts avec des personnalités politiques dites « illibérales » de type Viktor Orban, Erdogan, Meloni ou même Poutine avant la guerre en Ukraine. Aujourd’hui, il semble s’être radicalisé et soutient les mouvements d’extrême droite un peu partout. Il est un fervent soutien de l’argentin Javier Milei, lui aussi libertarien. Est-ce qu’il est convaincu par les idées d’extrême droite ou est-ce un phénomène d’opportunité ? Ça je n’en sais rien. Mais en tout cas son influence est bien réelle et il contribue à diffuser largement les idées de ce qu’on peut qualifier aujourd’hui « d’internationale illibérale » en référence à « l’internationale communiste » du 20ème siècle.

Qu’est-ce que l’UE peut faire pour résister à ces pressions ?

Tout d’abord, elle doit rester unie. Et ce n’est pas si simple. La division est l’arme principale de ses adversaires. Ensuite, elle doit continuer à renforcer ses outils, comme la politique commerciale commune ou les règles sur le numérique. Enfin, l’UE doit investir dans son autonomie stratégique, que ce soit dans les technologies, l’énergie ou les défenses communes. C’est un vrai test, mais c’est aussi une opportunité. 2025 sera une année décisive. L’Europe a les moyens de relever ces défis, mais elle doit agir vite et de manière coordonnée.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.