Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Aujourd’hui vous souhaitez nous plonger dans les perspectives de l’Union européenne pour 2025. Et elles ne sont pas très bonnes…
Non, c’est le moins qu’on puisse dire, et pourtant je suis plutôt une personne optimiste et je vais tacher de le rester. Mais le contexte des derniers mois n’est pas de nature à nous rassurer. La nouvelle année s'est ouverte sur plusieurs « séquences » difficiles pour les Européens, à la fois en interne et d’un point géopolitique. En interne d’abord : après la démission du Premier Ministre, l’Autriche est en passe d’avoir pour la première fois un gouvernement dirigé par l’extrême droite. Si j’en parle, c’est parce que le FPÖ qui est arrivé en tête aux législatives avec près d’un tiers des suffrages, est un parti particulièrement extrême, à la fois dans ses origines et dans ses positionnements actuels. Rien à voir avec le parti de Giorgia Meloni ni même de Marine Le Pen ou Viktor Orban, le FPÖ est un parti dont les origines nazies ne l’ont jamais quitté. Il a été fondé en 1956 par d’anciens SS, et son dirigeant actuel Herbert Kickl n’a jamais voulu reconnaitre la culpabilité des SS dans les génocides de la Seconde guerre mondiale.
On dit souvent que le FPÖ autrichien et l’AFD allemande sont des partis très similaires. C’est vrai ?
Dans une certaine mesure oui même si dernièrement les dirigeants de l’AFD ont tenté de s’éloigner des positions néonazies de certains de leurs membres. Mais en tout cas il est certain qu’idéologiquement parlant, l’AFD et le FPÖ sont en effet très proches, même s’ils ne siègent pas dans le même parti au Parlement européen : le FPÖ fait partie des Patriotes pour l’Europe menés par Jordan Bardella et Viktor Orban, tandis que l’AFD a intégré le Groupe des Nations Souveraines.
Pourquoi ce virage à l’extrême droite en Autriche vous inquiète ?
Parce qu’il montre que tous les verrous ou tabous historiques sont en train de sauter les uns après les autres, partout en Europe. Est-ce que parmi les 29 % d’Autrichiens qui ont voté pour le FPÖ, tous partagent les idées néonazies du parti ? Probablement pas. Alors pourquoi une telle progression ? C’est comme en Allemagne où l’AFD a réalisé des scores historiques dans les Landers de l’Est lors des dernières élections régionales. D’un côté, bien sûr, on ne peut pas nier une radicalisation des discours et des idées, mais de l’autre, il faut bien comprendre que ce sont surtout des enjeux économiques qui prévalent dans ces votes : de plus en plus de citoyens européens ressentent les conséquences de décennies d’une politique européenne trop libérale et pas assez protectrice des modèles économiques et sociaux européens. En Autriche comme en Allemagne, la crise migratoire de 2015 et la décision inconsidérée de la Chancelière Angela Merkel d’ouvrir grand les frontières puis de les refermer peu de temps après, n’y sont pas pour rien dans cette radicalisation des opinions publiques. C’est la peur du déclassement et in fine de la fin de nos modèles qui conduit de plus en plus d’Européens à se tourner vers des partis non traditionnels qui promettent des réponses radicales mais simples à des problèmes et défis incroyablement complexes, mais que les élites européennes n’ont pas su traiter en temps et en heure.
Et l’Allemagne et l’Autriche ne sont pas les seules à en faire les frais…
Non bien sûr, c’est un mouvement général. Même si on ne peut pas comparer le FPÖ autrichien ou l’AFD allemande au Rassemblement national Français, le fait que de plus en plus de nos compatriotes adhèrent aux idées et propositions du RN, mais aussi à la radicalité d’un parti comme LFI, nous montre bien que la confiance vis-à-vis des partis traditionnels et des élites libérales s’érode. Dans un sondage que Synopia et Mascaret ont commandé à Odoxa en décembre, 84 % des Français nous disent qu’ils ont le sentiment de subir les changements et les transitions et donc de ne pas avoir de prise ou d’impact. C’est un chiffre qui en dit long sur le sentiment de défiance. Et si on regarde d’autres pays, on ne peut que constater la même chose et ça se voit au moment des élections : en Slovaquie, aux Pays-Bas, en Finlande, en Roumanie, et même en Pologne. Il y aura des présidentielles en mai et le parti de Donald Tusk n’a pas une si large avance que cela vis-à-vis des conservateurs de « Droit et Justice ». Donc à surveiller là aussi.
Quelles sont les risques pour l’Europe avec les prochaines échéances électorales et les reconfigurations politiques qui s’annoncent ?
Le risque est assez simple : la fin de l’Union européenne est possible. Non pas que ces partis politiques prônent directement des sorties de l’Union. Mais les discours qu’ils tiennent et les ingérences avérées pour un certain nombre d’entre eux, de la Russie, conduiront à une désintégration progressive si on n’y prend pas garde. L’UE a fait des erreurs et il est grand temps qu’elle les reconnaisse, mais la responsabilité est partagée : si les élites traditionnelles en Europe ne veulent pas se voir dégager dans les mois qui viennent, elles ont intérêt à faire leur mea culpa très vite et à proposer un vrai projet de société dans lequel les Européens peuvent se reconnaitre, un projet d’espoir pour une Europe plus puissante et qui assume ses spécificités à la fois politiques, sociales, économiques mais aussi culturelles. Sans cela, la fin de l’Union européenne et de nos valeurs (liberté, droits individuels, progrès), tout cela finira par disparaitre.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.