L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

Un G7 en demi-teinte

© Number 10 de Flickr (Les chefs d'État Donald Trump, Keir Starmer, Giorgia Meloni, Emmanuel Macron et Mark Carney ont assisté au sommet du G7 au Canada.) Un G7 en demi-teinte
© Number 10 de Flickr (Les chefs d'État Donald Trump, Keir Starmer, Giorgia Meloni, Emmanuel Macron et Mark Carney ont assisté au sommet du G7 au Canada.)

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

Le président américain Donald Trump a quitté le sommet du G7 dès lundi soir, avant même les discussions avec Volodymyr Zelensky. Que doit-on lire derrière ce départ ?

C’est un signal très fort. Officiellement, Donald Trump a quitté le sommet en invoquant l’escalade entre Israël et l’Iran. C’est sans doute une partie de la vérité. Mais on note aussi que ce départ est intervenu à la veille de l’échange programmé avec le président ukrainien. Ce geste fragilise la position du G7 et laisse l’impression d’un désintérêt américain croissant pour le sort de l’Ukraine. Donald Trump continue aussi de défendre une idée ancienne : selon lui, la guerre n’aurait pas eu lieu si la Russie n’avait pas été exclue du G8 en 2014 et qu’il faudrait l’inclure dans un nouveau G8. Mais il oublie que c’est justement sous présidence russe du G20 qu’ont émergé les BRICS — preuve que l’intégration de Moscou dans la gouvernance mondiale n’a pas pour autant freiné sa trajectoire impérialiste.

Malgré la présence de Volodymyr Zelensky, le G7 n’a pas adopté de déclaration commune sur l’agression russe. Est-ce une rupture ?

Oui, c’est une première depuis l’annexion de la Crimée. Aucun communiqué fort n’a été publié. Certains pays, comme le Canada, voulaient aller plus loin, mais les États-Unis ont freiné. Sans leadership américain, le G7 perd sa capacité à envoyer un message fort et uni — et cela, au moment où l’Ukraine subit des frappes meurtrières. Ce sommet n’a donc pas créé l’élan espéré avant celui de l’OTAN qui se tiendra à la fin du mois.

Et d’ailleurs Donald Trump devait s’entretenir avec Zelensky au Canada mais l’entretien a été annulé. Est-ce un simple incident d’agenda ou une posture stratégique ?

Ce n’est pas un hasard. En annulant cette rencontre, Trump montre que l’Ukraine n’est plus une priorité. C’est cohérent avec son positionnement depuis plusieurs mois : ambigu vis-à-vis de Moscou, et clairement tourné vers un usage électoral des dossiers internationaux. Mais cette posture affaiblit sérieusement la cohésion du camp occidental, au pire moment.

Paradoxalement, alors que le sommet semblait désuni, les dirigeants ont publié une déclaration commune sur le conflit entre Israël et l’Iran. Que peut-on en penser ?

C’est effectivement le seul dossier sur lequel le G7 a parlé d’une seule voix : appel à la désescalade, rappel du droit d’Israël à se défendre, mais aussi mise en garde sur la menace nucléaire iranienne. Ce consensus montre bien une chose : l’agenda géopolitique mondial se déplace. L’attention se concentre désormais sur le Moyen-Orient, ce qui n’est pas anodin. Cela traduit un glissement des priorités stratégiques occidentales, et potentiellement une marginalisation de la guerre en Ukraine. Mais c’est aussi révélateur d’un G7 en mode défensif, réactif, sans impulsion véritable sur les grands équilibres mondiaux. Ce qu’a dit le Chancelier Friedrich Mertz en marge du sommet est particulièrement révélateur : « Israël fait le sale boulot pour nous tous ». C’est très fort comme propos assumés puisque c’est finalement un aveu de l’impuissance des Européens à agir ou même réagir par eux-mêmes.

Au final, peut-on dire que le G7 sort affaibli de ce sommet ? Et au-delà, que dit cela de l’état du multilatéralisme aujourd’hui ?

Ce sommet reflète un multilatéralisme en crise. On constate un affaiblissement du G7, incapable de parler d’une seule voix sur les grands enjeux. Mais plus profondément, c’est le droit international lui-même qui vacille : en Ukraine, à Gaza, au Liban et désormais en Iran, les principes mêmes qui fondent l’ordre multilatéral – souveraineté, interdiction de l’agression, protection des civils – sont mis de côté. Le droit est contourné, instrumentalisé ou ignoré selon les intérêts du moment. Et les grandes puissances, y compris au sein du G7, peinent à réagir de manière cohérente ou crédible. Ce sommet n’a pas réaffirmé la primauté du droit sur la force, bien au contraire. Et dans cette vacance stratégique, un acteur observe avec attention : la Chine. Xi Jinping cherche depuis longtemps à proposer une alternative au leadership américain. Et pendant que l’Occident se fragmente, Pékin avance. La question, aujourd’hui, n’est pas seulement : "que fait l’Amérique ?" mais aussi : "les Européens sont-ils prêts à proposer autre chose ?"

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.