L'œil sur l'Europe - Joséphine Staron

COP30 : l'Europe face à son mécanisme d’ajustement carbone

Photo de Matthias Heyde sur Unsplash COP30 : l'Europe face à son mécanisme d’ajustement carbone
Photo de Matthias Heyde sur Unsplash

Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.

La COP30 se termine bientôt : pourquoi le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières y joue-t-il un rôle central ?

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ou MACF est au cœur des débats de la COP30 parce qu’il symbolise à la fois l’ambition climatique de l’UE et son positionnement stratégique. L’Europe veut imposer un prix du carbone aux importations pour éviter le dumping climatique. Dès janvier prochain, la taxe carbone s’appliquera à certains secteurs très polluants : l’acier, l’aluminium, le ciment, les engrais, l’électricité et l’hydrogène. Mais cette taxation crée un blocage majeur à la COP30 : de nombreux pays en développement redoutent que cette taxe soit perçue comme une barrière protectionniste déguisée. Le Brésil, qui accueille la conférence, est particulièrement attentif, car il craint que cette mesure pénalise ses exportations et ne reconnaisse pas ses efforts de déforestation ou de réduction d’émissions. Mais pour l’UE, un prix du carbone aux frontières est nécessaire pour rendre crédible son marché carbone et protéger ses industries. C’est un levier de transition mais aussi de souveraineté industrielle.

Quel est l’historique de cette proposition ? Et comment l’UE la défend-elle face aux critiques ?

Le mécanisme d’ajustement carbone a été conçu dans le cadre du Pacte vert européen pour éviter que les biens importés soient produits dans des conditions moins vertueuses, sur le plan environnemental. Mais son chemin a été semé d’embûches : certains États tiers dénoncent ce dispositif comme une taxe punitive et un instrument protectionniste. À la COP30, Bruxelles affirme que cette taxe n’a pas vocation à punir, mais à inciter. Elle insiste sur le fait que le MACF peut être un outil d’aide à la décarbonation, via un accompagnement financier ou technique aux pays exportateurs. 

Quels sont les principaux arguments des détracteurs et des défenseurs du mécanisme d’ajustement carbone ?

Pour ses défenseurs, le mécanisme d’ajustement carbone permet de rendre plus juste le marché carbone : les importateurs paient un prix équivalent à celui payé par l’industrie européenne, ce qui limite le dumping climatique. De plus, il crée un incitatif concret à la décarbonation pour les producteurs hors UE : s’ils réduisent leurs émissions, ils peuvent éviter une charge financière. Mais surtout, l’objectif de l’Europe c’est d’exporter ses normes et ses standards et faire en sorte que ses partenaires commerciaux les respectent aussi. L’enjeu, c’est la compétitivité des entreprises et industries du continent. Mais certains opposants, notamment les pays en développement, estiment que c’est une taxe qui s’apparente à une barrière commerciale injuste, et cela pourrait donner lieu à des représailles commerciales. Le MACF a en tout cas provoqué de vives tensions pendant cette COP.

Mais au fond, la critique qui consiste à dénoncer ce mécanisme comme une politique protectionniste, n’est-elle pas fondée ?

Si d’une certaine manière, bien que le MACF soit compatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Mais nous devrions, en tout cas en Europe, nous réjouir que pour une fois l’Union européenne cherche à protéger ses intérêts commerciaux et joue le jeu de la préférence communautaire. Dans un monde où toutes les grandes puissances pratiquent et assument des politiques protectionnistes qui impactent de plein fouet le marché européen, on ne peut plus se passer de ce type de mesures. C’est d’ailleurs intéressant (ironique ?) de voir que ce sont les Etats-Unis, l’Inde et la Chine qui sont les plus en défaveur de cette mesure européenne. Donc outre l’enjeu climatique lui-même, ce qui se joue en ce moment à la COP c’est un vrai rapport de force. Reste à savoir si l’UE le remportera.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.