Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
On parle beaucoup du “plan de paix en 28 points” proposé par Donald Trump. Concrètement, qu’est-ce que c’est ?
C’est d’abord un texte qui se veut ambitieux, mais qui a été accueilli comme une bombe diplomatique. Il a pris tout le monde de cours, peut-être le Président américain lui-même, en tout cas Marco Rubio, le chef de la diplomatie américaine qui semblait très surpris par le contenu de ce plan. En ce qui concerne le contenu du plan qui a semble-t-il fuité la semaine dernière, il propose d’arrêter la guerre en Ukraine grâce à un ensemble de dispositions politiques, militaires et territoriales. Le problème, c’est que beaucoup de ces 28 points étaient très largement favorables à la Russie. Par exemple : la limitation de l’armée ukrainienne, la renonciation à toute adhésion future à l’OTAN, des concessions territoriales plus ou moins explicites, et un mécanisme de reconstruction piloté en partie par Washington. En clair : un “deal” conçu pour être accepté par Moscou — beaucoup moins pour Kiev. L’objectif officieux, disent certains diplomates, serait de permettre à Donald Trump de se présenter comme “l’homme qui a ramené la paix en Europe”, quitte à forcer la main aux Ukrainiens.
Pourquoi ce plan a-t-il provoqué une telle levée de boucliers en Europe et en Ukraine ?
Parce que ce plan va directement à l’encontre des principes fondamentaux du droit international : intégrité territoriale, souveraineté, non-agression. Les Européens — la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni — ont très vite réagi en disant que ce texte n’est pas un plan de paix mais un projet de capitulation, construit sans les principaux intéressés : les Ukrainiens. On a aussi reproché à Washington d’avoir lancé ce plan sans vraie concertation transatlantique.
Qu’a changé la version amendée du plan, celle discutée à Genève ?
Officiellement : beaucoup. Officieusement : moins qu’on ne l’imagine. Cette version amendée est le résultat d’une énorme bataille diplomatique. Les Européens, les Ukrainiens et les Américains ont passé plusieurs jours à Genève pour revoir point par point la copie initiale. Les clauses les plus explosives — notamment celles sur l’OTAN et les concessions territoriales — ont été supprimées ou édulcorées. L’idée n’est plus de désarmer l’Ukraine, mais de réfléchir à un dispositif de sécurité encadré par les Occidentaux. Reste une incertitude majeure : les sujets les plus sensibles — frontière, statut des territoires — ont été renvoyés aux discussions directes entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky. Et là, tout peut encore basculer.
Alors, ce plan est-il crédible… ou n’est-ce qu’un coup de communication signé Donald Trump ?
Ce qui est certain, c’est que la première version était inacceptable pour les Ukrainiens. Mais la seconde l’est tout autant pour les Russes. Résultat : un plan qui ne satisfait personne, mais qui permet à Trump de dire qu’il “essaie”, qu’il “agit”, qu’il “avance” là où les Européens n’y parviennent pas. La séquence semble surtout précipitée, improvisée, presque écrite pour la caméra plus que pour la diplomatie. Et surtout, elle prend le risque d’installer une illusion de paix qui pourrait, en réalité, préparer une future relance de la guerre après un gel du conflit.
Quel rôle peut jouer l’Europe dans tout cela ?
La vérité, c’est que l’Europe n’a pas le choix : elle doit s’imposer dans la discussion. Parce que cette guerre se déroule sur son continent, qu’elle en subit directement les conséquences, et que sa sécurité future dépend de l’issue du conflit. Mais force est de constater qu’elle a encore du mal à proposer des garanties de sécurité suffisamment crédibles pour peser dans les discussions. Elle se fraye un chemin, mais rien ne dit qu’à la fin, elle parviendra à s’imposer comme acteur incontournable. Mais c’est pourtant ce qu’il faut encourager car il faut protéger les intérêts européens et ils sont directement liés à l’issue du conflit en Ukraine. Et au-delà de l’Ukraine, c’est aussi la place de l’Europe dans le nouvel ordre mondial qui se joue.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.