Retrouvez chaque semaine sur euradio l'analyse d'une actualité européenne avec Joséphine Staron, Directrice des études et des relations internationales du think tank Synopia.
Vous souhaitez consacrer
vos chroniques des deux prochaines semaines au thème de la
démocratie en Europe. Pourquoi ce thème revêt-il une importance
particulière à vos yeux ?
Déjà parce que dans quelques mois, en juin, se tiendront les élections européennes. Et que ce rendez-vous est particulièrement important pour déterminer les orientations futures de l’Europe. Pourquoi ? Et bien parce que les 5 dernières années ont été ponctuées de crises : économique, énergétique, sanitaire, géopolitique, sécuritaire. L’Europe a su répondre efficacement à certaines de ces crises, moins pour d’autres. Mais dans tous les cas, elle aura fait parler d’elle quasi quotidiennement depuis la pandémie de Covid 19 en 2020. Cette mise sous les projecteurs a renforcé les attentes des citoyens européens vis-à-vis de l’UE. En d’autres termes, à chaque nouvelle crise, l’Union européenne est attendue au tournant et ses réactions sont désormais scrutées, comme on a pu le voir ces derniers jours dans le cadre de la guerre qui oppose Israël au Hamas.
Beaucoup dénoncent en effet la cacophonie des institutions européennes qui a suivi l’attentat en Israël ?
Oui, et à raison. Sans concertation, les États membres, mais aussi certains Commissaires européens, ont réagi dans leur coin. La Présidente de la Commission, Ursula Van der Leyen, a même dépassé ses prérogatives en se rendant en Israël sans mandat des 27. Un Commissaire hongrois a annoncé la suspension immédiate des aides européennes à la Palestine, ce qui a été démenti immédiatement par Josep Borrel, chef de la diplomatie européenne. Bref, dans cette affaire, les Européens n’ont montré aucune coordination... C’est en partie pour remédier à cet effet « brouillon » qu’une réunion extraordinaire des leaders européens était organisée mardi.
Quel rapport avec la démocratie en Europe ?
Le rapport c’est le regard que portent les Européens sur leurs institutions et sur le projet commun. Si ce regard est trop négatif, il y a un risque certain pour que les partis politiques hostiles au projet européen gagnent davantage de sièges au Parlement en juin prochain.
Pourtant, les élections récentes en Pologne semblent démontrer que les aspirations européennes peuvent l’emporter même dans des pays jusque-là très « sceptiques » ?
Oui, c’était la grande surprise du week-end. Malgré les sondages qui donnaient le PIS gagnant, c’est finalement l’opposition centriste pro-européenne menée par Donald Tusk qui a remporté les élections législatives. Ça change la donne pour la Pologne. Notamment parce qu’un des éléments phares du programme de Donald Tusk, c’est de résoudre les différends avec l’UE concernant les atteintes à l’état de droit en Pologne. Il faut aussi noter le taux de participation historiquement haut : plus de 72 % des inscrits se sont rendus aux urnes.
La participation, c’est justement un des grands enjeux des prochaines élections européennes ?
Oui, d’autant qu’en 2019 elle était relativement faible, sauf dans les États membres où le vote était obligatoire. En France, elle atteignait péniblement les 50 %. En Slovaquie, en Slovénie ou en République Tchèque elle ne dépassait pas 30 %. Donc faire venir les Européens aux urnes, c’est un enjeu majeur. Aujourd’hui, on a le sentiment que ce sera peut-être plus facile qu’en 2019. Déjà parce que de nombreuses crises sont passées par là et que l’action de l’Union européenne a été sous le feu des projecteurs. Ensuite, parce que les sondages sont assez encourageants : dans le dernier Eurobaromètre, 45 % des citoyens déclarent avoir conscience que les élections européennes auront lieu en 2024 – soit 9 points de plus en six mois, et un chiffre bien plus élevé qu’en 2019 (32 %) ; et les deux tiers des citoyens (67 %) déclarent qu'ils sont susceptibles de voter, alors qu’ils étaient 58 % en 2018.
Ces élections peuvent-elles avoir un réel impact sur la politique menée par l’Union européenne ?
Oui. Ces dernières années, en tout cas depuis 2019, le Parlement européen a pris davantage de place et s’est imposé comme acteur majeur dans certains domaines, notamment sur les questions liées à la transition écologique et au Pacte Vert. On a vu qu’il avait donné une vraie impulsion politique sur ces sujets, et qu’il était souvent plus progressiste que les chefs d’état et de gouvernement, voire même plus que la Commission. Donc la future composition aura un impact réel sur les orientations politiques de l’UE pour les prochaines années. En 2019, on a vu que les partis traditionnels, le PPE et les sociaux-démocrates, avaient un peu perdu du terrain au profit de Renew Europe et des Verts. Donc on a eu un Parlement à la fois plus « vert » et qui a donc défendu corps et âme le Green deal, et aussi plus libéral avec la montée de Renew qui a permis de défendre notamment le plan de relance en 2020 et les ambitions de réindustrialisation du continent.
Et quelle est la tendance aujourd’hui ? Est-ce que les partis traditionnels vont continuer de perdre des sièges ?
Pour l’instant c’est difficile à dire. Il faut bien observer ce qu’il se passe dans chaque État membre. On a une majorité d’États dont les gouvernements sont composés de libéraux et de sociaux-démocrates, mais on a aussi de plus en plus de coalitions qui réunissent des conservateurs et des écologistes, ou des conservateurs et des libéraux (parfois les 3, comme en Allemagne !). Et puis, bien sûr, on a des pays où la droite radicale est au pouvoir comme en Italie ou en Hongrie. Donc il va bien falloir observer les tendances qui se dégagent dans chaque État, et puis surtout le traitement qui sera fait des dossiers « brulants » qui peuvent être instrumentalisés au niveau national, comme l’immigration. Et il ne faut pas non plus oublier que les partis politiques au Parlement européen ne correspondent pas toujours aux partis nationaux. Par exemple, Marine Le Pen, Viktor Orban ou Giorgia Meloni sont souvent caractérisés comme étant de la droite radicale, mais leurs candidats peuvent siéger dans des partis différents au Parlement européen. Donc les mécaniques sont plus complexes qu’au niveau national, ce qui rend plus difficile les projections sur la future composition du Parlement.
Merci. La semaine prochaine, nous continuerons à parler d’Europe et de démocratie, et vous reviendrez sur un débat ancien mais toujours d’actualité : la question du déficit démocratique dont est souvent accusée l’Union européenne.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.